La Convention européenne

La Convention européenne


Au Conseil européen de Laeken (14-15 décembre 2001), le Premier ministre belge Guy Verhofstadt présente un projet de déclaration définissant les objectifs et proposant une méthode de travail. Les gouvernements sont divisés. Seuls les six pays fondateurs sont décidés à progresser quoiqu’en désaccord sur la finalité fédérale de l'Europe unie. Les autres sont réticents, craignant la création d’un ensemble politique dominé par les grands États. La Grande-Bretagne voudrait s’en tenir au renforcement du Conseil des ministres, comme l’Espagne et les pays nordiques. Finalement, la longue Déclaration de Laeken sur « l’avenir de l’Union européenne » est adoptée et jointe aux conclusions de la présidence.


« L’Union doit devenir plus démocratique, plus transparente et plus efficace. Et elle doit relever trois défis fondamentaux. Comment rapprocher les citoyens, et en premier lieu les jeunes, du projet européen et des institutions européennes ? Comment structurer la vie politique et l’espace politique européen dans une Europe élargie ? Comment faire de l’Union un facteur de stabilisation et un repère dans le monde nouveau multipolaire ? Pour trouver des réponses, il faut poser une série de questions ciblées. » Et la Déclaration d'énumérer toute une série d’interrogations relatives à une meilleure répartition et définition des compétences dans l’Union européenne, à la simplification des instruments de l’Union, à davantage de démocratie, de transparence et d’efficacité dans l’Union ou encore à la voie vers une éventuelle Constitution pour les citoyens européens.


Pour répondre à ces questions, le Conseil décide de convoquer une Convention. Mais il ne s’agit pas de lui attribuer un pouvoir constituant. Cette Convention aura pour tâche de préparer la future Conférence intergouvernementale (CIG) en lui fournissant un document qui pourra proposer soit différentes options, soit des recommandations en cas de consensus. Ce texte, « avec le résultat des débats nationaux sur l’avenir de l’Union, servira de point de départ pour les discussions de la Conférence intergouvernementale qui prendra les décisions définitives ».


La Déclaration fixe la composition et les méthodes de travail de la Convention. Le Conseil nomme à sa présidence Valéry Giscard d’Estaing, ancien président de la République française, assisté de deux vice-présidents Giuliano Amato, ancien président du Conseil italien, et Jean-Luc Dehaene, ancien Premier ministre belge. En outre, la Convention comprendra 15 représentants des chefs d’État ou de gouvernement (un par État membre), 30 membres des Parlements nationaux (deux par État membre), 16 membres du Parlement européen et deux représentants de la Commission européenne. Les dix pays candidats à l’adhésion seront représentés de la même façon et participeront aux discussions sans pouvoir toutefois s’opposer à un consensus. La Convention élira un praesidium (bureau) composé du président, des deux vice-présidents et de neuf membres : trois représentants des gouvernements exerçant la présidence du Conseil pendant la Convention, deux représentants des Parlements nationaux, deux représentants des membres du Parlement européen, deux représentants de la Commission. Le praesidium, avec le président, aura un rôle d’impulsion. Pour élargir le débat à l’ensemble des citoyens, des contributions seront fournies à la Convention par les organisations de la « société civile » (partenaires sociaux, milieux économiques, organisations non gouvernementales, milieux académiques). La Convention commencera ses travaux le 1er mars 2002 et devra les avoir achevé au bout d’un an. Pendant ce temps, le président de la Convention devra faire un rapport oral à chaque Conseil européen et pourra ainsi recueillir le sentiment des chefs d’État ou de gouvernement.


Les travaux de la Convention sont menés avec beaucoup d’autorité et d’habileté par le président Giscard d’Estaing qui, en contact avec les gouvernements, peut juger de ce qui sera acceptable pour eux et donc orienter les discussions vers des solutions réalistes. Il organise les travaux en trois phases : une période d’écoute jusqu’en septembre pour permettre aux membres de la Convention de s’exprimer et de prendre connaissance des attentes formulées par les forums organisés dans les différents pays et par les associations intéressées. La Convention siège à Bruxelles, dans les locaux du Parlement européen. Les débats sont publics et transmis par les médias. De septembre à décembre, c’est la période d’étude. Onze groupes de travail ont été formés pour couvrir les différents domaines : subsidiarité, Charte des droits fondamentaux, personnalité juridique de l’Union, rôle des Parlements nationaux, compétences complémentaires, gouvernance économique, action extérieure, défense, simplification des procédures, liberté, sécurité et justice, Europe sociale. Les rapports des groupes sont débattus lors des sessions plénières mensuelles, puis bimensuelles. Enfin, de janvier à juillet 2003 se déroule la phase de proposition et de rédaction du projet.


C’est sur les questions institutionnelles que se produisent les affrontements les plus sérieux. En dehors de la Convention, plusieurs grands pays ont pris parti. Jacques Chirac, Tony Blair et José María Aznar demandent un président stable du Conseil européen, un responsable européen des Affaires étrangères et une Commission plus resserrée, alors que du côté allemand la préférence est donnée au renforcement du président de la Commission de même que les petits pays qui craignent un directoire des grands. Les trois pays du Benelux veulent un président de la Commission élu par le Parlement européen et présidant le Conseil des ministres. Le Parlement européen veut le renforcement de ses pouvoirs et ceux de la Commission. Le président de la Commission Romano Prodi plaide pour une organisation supranationale et fait préparer un projet complet dit « Pénélope » très fédéraliste, élaboré en marge de la Convention, qui apparaît comme concurrent et n’est pas pris en considération.


A la Convention, le président Giscard d’Estaing prend l’initiative, le 28 octobre 2002, de présenter ce qu’il considère comme l’ossature du futur traité constitutionnel. En raison de la nécessité d’une plus grande efficacité des institutions et de l’impossibilité d’aller jusqu’au fédéralisme, Giscard estime que la seule solution acceptable est de maintenir le « triangle institutionnel » - originalité du système communautaire – et d’en renforcer les trois côtés : Parlement, Conseil, Commission. Ce schéma est accueilli favorablement par la Convention même si ses dispositions pratiques font l’objet de vives discussions.


Dans le même temps, le climat de la Convention se modifie avec l’arrivée de plusieurs ministres des Affaires étrangères qui assurent désormais la représentation de leur pays : Joschka Fischer pour l’Allemagne, Dominique de Villepin pour la France, suivis par d’autres. Surtout le président Chirac et le chancelier Schröder ont rapproché leurs points de vue et inspirent des propositions communes sur la sécurité et la défense, la justice, la gouvernance économique et les institutions : un président stable du Conseil européen (souhaité par la France), un président de la Commission élu par le Parlement en tenant compte des élections européennes (souhaité par l’Allemagne), un ministre des Affaires étrangères également membre de la Commission, la séparation des tâches législatives et exécutives du Conseil. Ces propositions font sensation à la Convention mais suscitent des critiques. Les représentants des moyens et des petits pays parmi les Quinze et de tous les pays candidats exigent l’égalité entre les États, le maintien de la Commission élargie à tous les pays de l’Union, le maintien de la présidence tournante du Conseil. Pour en finir, Giscard, le 22 avril, rend publiques ses propres propositions institutionnelles qui sont ensuite adoptées ou modifiées par le praesidium. Dans les grandes lignes, le texte prévoit un président du Conseil à plein temps élu pour plusieurs années, un ministre des Affaires étrangères qui serait en même temps vice-président de la Commission, un calcul de la majorité qualifiée au Conseil tenant compte de la majorité des États et l’importance de la population (66%) et une Commission réduite en nombre dont le président serait élu par le Parlement européen.


Ce schéma vise à établir un équilibre entre les grands pays, les plus peuplés et les plus importants contributeurs au budget de l’Union, et les autres pays, plus nombreux mais beaucoup moins peuplés et généralement bénéficiaires des aides communautaires. Il convient donc à l’Allemagne, à la France et à l’Italie mais l’Espagne et la Pologne perdent les avantages excessifs du traité de Nice. Quant aux autres pays – moyens et petits – c’est également leur cas et ils expriment leur désir d’en rester au système de pondération de voix au Conseil. L’opposition des « Niçois » vise aussi la présidence stable du Conseil, considérée comme de nature à affaiblir la Commission et son président. Enfin, ils se méfient des « coopérations renforcées » préconisées par la France et l’Allemagne qui permettraient à quelques États d’aller plus vite que les autres. D’autres critiques se manifestent. Romano Prodi reproche au projet de « manquer de vision et d’ambition ». Les parlementaires européens et nationaux ne sont pas entièrement satisfaits mais soutiennent le projet. Quant à la Grande-Bretagne, que Giscard a cependant le soin de ménager pour qu’elle accepte le traité, elle mène un jeu ambigu, acceptant les réformes institutionnelles mais soutenant aussi les « Niçois » afin de ne pas être isolés dans la défense de leurs « lignes rouges » (maintien de l’unanimité pour la politique extérieure, la défense, la fiscalité, les ressources budgétaires, la coordination des politiques économiques et le droit pénal). La France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas veulent l’unanimité pour la fixation des ressources budgétaires. La France, comme la Grande-Bretagne, tient à l’unanimité sur la politique étrangère alors que l’Allemagne préconise le vote majoritaire. Les Allemands tiennent à garder un droit de veto sur la politique d’immigration et les Français sur l’« exception culturelle » dans la politique commerciale commune et sur la politique agricole.


Les représentants des gouvernements se comportent de plus en plus comme s’il s’agissait déjà de la conférence intergouvernementale (CIG), ce que n’acceptent pas les délégués du Parlement européen et des Parlements nationaux qui constituent les trois quarts de la Convention. C’est sur eux que s’appuie désormais le président Giscard. Les discussions s’intensifient au début de juin. Il n’est plus question d’en rester au traité de Nice puisque les conventionnels sont là pour proposer une solution de remplacement. Giscard, pour vaincre les dernières résistances, promet que le projet constitutionnel, en ce qui concerne la réforme des institutions, n’interviendra qu’après les élections européennes de 2009. A la suite de nombreux amendements et compromis, l’esprit de la Convention finit par l’emporter et le texte du projet est adopté le 13 juin à la quasi unanimité (98 délégués sur 105). Il ne s’agit pas d’un catalogue d’options pour la conférence intergouvernementale, mais d’un projet complet, structuré, qui doit être pris en considération dans son ensemble.


Le président Giscard d’Estaing remet au Conseil européen, réuni à Thessalonique le 20 juin 2003, le texte dont il estime que « le résultat n’est pas parfait mais il est inespéré ». Le Conseil considère que c’est « une bonne base de départ » pour les travaux de la conférence. Mais un problème se pose. La première et la deuxième parties du projet sont au point (objectifs de l’Union, institutions, compétences, vie démocratique, finances, appartenance à l’Union et Charte des droits fondamentaux), tandis que le temps a manqué pour la troisième partie (politiques et fonctionnement de l’Union) et la quatrième (dispositions générales et finales). C’est pourquoi Giscard demande une prolongation du mandat de la Convention, mais il n’obtient qu’un mois supplémentaire et à condition que, pour la partie relative aux différentes politiques de l’Union rassemblant les dispositions des traités précédents, il ne s’agisse que de « retouches techniques » pour tenir compte des nouvelles dispositions institutionnelles alors que les conventionnels voudraient apporter des modifications de fond, en particulier avec l’extension du vote à la majorité qualifiée.


La Convention se réunit à nouveau au début de juillet. Les parlementaires obtiennent l’adoption de quelques aménagements. Le président Giscard peut alors remettre, le 18 juillet 2003 à Rome, le projet complet à Silvio Berlusconi, qui assure la présidence italienne du Conseil et qui ouvrira la Conférence intergouvernementale (CIG).


Au total, la Convention sur l’avenir de l’Europe a représenté une étape essentielle dans la construction de l’Union européenne. Plus de 200 personnalités (membres et suppléants), de qualité et représentatives, venues de 28 pays différents, ont pu débattre publiquement pendant plus d’un an, sur des sujets souvent délicats, surmonter leurs divergences et finalement adopter un projet commun. C’est une avancée décisive dans la démocratisation du processus d’intégration en Europe et dans la formation d’un véritable esprit européen en dépit de certaines réticences qui pourront se manifester lors de la conférence intergouvernementale.

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