La coordination sous le traité CEE

La coordination des politiques économiques et monétaires sous le traité CEE

«La monnaie est la grande oubliée des traités»1. Les compétences monétaires de la Communauté économique européenne (CEE) se distinguent par leur modestie au regard, d'une part, de celles attribuées dans les domaines de l'union douanière et du marché commun et, d'autre part, de ce qu'exige le processus d'intégration économique et monétaire lui-même. L'échec du traité établissant une Communauté européenne de défense en 1954 interdit tout transfert d'éléments-clés de la souveraineté, tel que le pouvoir monétaire. Pris entre l'impératif d'intégration et le respect de la souveraineté, le traité reconnaît que les politiques de conjoncture et de taux de change sont à traiter comme des question d'intérêt commun, sans doter la Communauté des compétences adéquates pour garantir un tel traitement commun2. Les États conservent donc leur souveraineté économique et monétaire3 et la Communauté hérite une compétence de coordination. La seule exception est constituée du domaine des paiements, où la Communauté dispose d'une compétence réglementaire et d'assistance financière.

Ceci étant, la simple participation des États membres à la CEE oblige ceux-ci à orienter leurs politiques économiques conformément aux objectifs communautaires. La coordination doit de façon générale «garantir la stabilité dans l'expansion [et] l'équilibre dans les échanges» et parer aux déséquilibres dans leurs balances des paiements (article 6 du traité CEE). Précisé à l'article 106, ce dernier objectif signifie que chaque État membre doit, sur le plan externe, assurer l'équilibre de sa balance globale des paiements et maintenir la confiance dans sa monnaie; et sur le plan interne, assurer un haut degré d'emploi et la stabilité du niveau des prix. Les institutions de la Communauté sont chargées d'organiser la coordination. Les mesures qu'elles préconisent ne doivent pas compromettre la stabilité interne et externe des États membres.

Le titre II consacré à la politique économique détaille les modalités du régime de coordination. Il comprend huit articles (103 à 109) répartis en trois chapitres inégaux: la politique de conjoncture, la balance des paiements et la politique commerciale.

La politique de conjoncture

Le chapitre relatif à la politique de conjoncture se compose d'un article unique. La politique de conjoncture désigne «l’ensemble des mesures propres à contrôler l’évolution économique à court terme. Elle ne vise donc pas à modifier le cadre général dans lequel celle-ci s’exerce ni à agir sur les structures économiques. Elle porte sur les phénomènes et les tendances de la situation économique à un moment donné.»4

De fait, le décloisonnement programmé des marchés nationaux au profit de la création d'un marché commun a pour effet d'accroître les interactions entre les politiques conjoncturelles. Dans cette perspective, chaque État membre est appelé à considérer sa politique conjoncturelle comme une question d'intérêt commun. Toute mesure nationale importante doit a priori donner lieu à une consultation préalable des partenaires et de la Commission. Lorsque la situation l'exige, le Conseil peut décider à l'unanimité des mesures appropriées – comme cela sera le cas en 1969 avec la création des montants compensatoires monétaires pour protéger le marché agricole5. Les modalités d'application sont adoptées à la majorité qualifiée.

La coordination des politiques économiques générales relève des attributions du Conseil (article 145 du traité CEE). Aux fins de la faciliter, les États membres sont invités à instituer une collaboration entre les services compétents de leur administration (directions du Trésor) et entre leurs banques centrales. C'est l'objet premier du comité monétaire, dont la création est prévue directement par le traité (article 105, paragraphe 2, du traité CEE).

Plusieurs comités sont créés ultérieurement par le Conseil entre 1960 et 1964: le comité de politique conjoncturelle6, le comité de politique budgétaire7, le comité de politique économique à moyen terme8, le comité des gouverneurs des banques centrales9.

La coordination des politiques monétaires

Le second chapitre est tout entier consacré aux balances des paiements. Il fixe des objectifs aux politiques économiques (article 104 du traité CEE), le cadre matériel et institutionnel de la coopération (articles 105 à 107) et un mécanisme de gestion des crises (articles 108 à 109). Il témoigne de l'importance de la question monétaire pour la mise en œuvre du traité et le bon fonctionnement de l'union douanière, du marché commun et de la politique commerciale (qui forme le troisième chapitre). L'accord monétaire européen est paru insuffisant aux rédacteurs du traité pour faire face au niveau d'intégration économique que le traité CEE organise. Les obligations de coordination à la charge des États membres sont donc renforcées par rapport à ce qu'elles sont sous l'empire du seul AME. La coordination des «politiques économiques», notion à prendre au sens général, concerne la politique monétaire, celle financière ou encore sociale10. Le domaine monétaire est le seul pour lequel le traité prévoit directement l'organe chargé d'en promouvoir la coordination: le comité monétaire, un organe consultatif composé d'experts nationaux de haut rang issus des directions du Trésor et des banques centrales nationales.

Les États membres doivent libérer les paiements au fur et à mesure que la circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes est libérée au sein de la CEE11. Au cas où la liberté de circulation est retreinte seulement par des restrictions des paiements, la Communauté peut en imposer la libération par des actes contraignants.

La libération des paiements affecte le cours de change des monnaies des États membres. La politique de change demeurant une compétence nationale, chaque État membre peut rectifier la parité officielle de sa monnaie (cf. une dévaluation compétitive) pour rééquilibrer sa balance globale des paiements et/ou améliorer sa position concurrentielle12. Le risque est que cette correction perturbe le courant des échanges au sein de la Communauté. Pour éviter une telle situation, l'article 107 prévoit implicitement que toute modification de la politique de change donne lieu à une consultation préalable13. Elle est admise tant qu'elle respecte les objectifs de stabilité interne et externe et, surtout, qu'elle ne fausse pas gravement les conditions de concurrence au sein du marché commun. À défaut, la Commission ne saurait annuler la décision de l'État membre, mais elle peut autoriser les partenaires affectés à prendre les mesures temporaires nécessaires afin de réduire les effets du changement de parité opéré.

Les articles 108 et 109 du traité CEE sont les plus importants du chapitre. Ils tirent les conclusions des expériences de coopération monétaire au sein de l'Union européenne de paiements.

Chaque fois que l’intérêt national d’un des pays participants a été en cause (déficit des paiements de l’Allemagne en 1950, du Royaume-Uni en 1951, de la France en 1952), celui-ci réduisait unilatéralement le taux de libération de ses échanges avec ses partenaires afin de réduire le déficit de sa balance des paiements14. C'est ainsi que les articles 108 et 109 envisagent le cas où, sous l'effet de l'ouverture du commerce et de la libération des paiements, un État connaît des difficultés ou des menaces graves de difficultés dans sa balance des paiements susceptibles de compromettre le fonctionnement du marché commun ou la réalisation progressive de la politique commerciale. L'État pourrait adopter des mesures unilatérales pour réduire les effets des mesures de libération déjà en vigueur (des restrictions quantitatives par exemple) ou ou bloquer toute nouvelle avancée. L'unanimité est requise pour l'adoption de très nombreuses mesures de libération pendant les deux premières étapes de réalisation du marché commun. Le traité prévoit que la Commission examine sans délai la situation de l'État, ainsi que les mesures prises ou qu'il peut adopter conformément aux objectifs de stabilité interne et externe. Elle recommande les mesures appropriées. Si ces mesures sont insuffisantes pour juguler les difficultés, la Communauté peut accorder le concours mutuel. Ce dernier s'entend d'un dispositif d'assistance dont la forme est laissée ouverte par le traité. Il peut s'agir notamment d'une action concertée auprès d'autres organisations internationales (Fonds monétaire international, Accord monétaire européen), de mesures nécessaires pour éviter des détournements de trafic, de l'octroi de crédits limités de la part des autres États membres ou encore, pendant la période transitoire, d'abaissements spéciaux des droits de douane, etc. En dernière limite, si le concours mutuel n'est pas accordé ou s'il se révèle insuffisant, l'État membre concerné peut adopter des mesures de sauvegarde, sous le contrôle de la Commission.

Pour pallier l'éventuelle lenteur de la Communauté face à une crise soudaine dans la balance des paiements, l'État concerné est autorisé à prendre, à titre conservatoire, des mesures de sauvegarde. Le Conseil se prononce sur leur validité et peut en exiger la modification, la suspension ou la suppression.

Dernier signe de l'importance des questions monétaires au sein de la politique économique: le domaine monétaire est le seul pour lequel le traité créé directement un organe dédié, le comité monétaire. Son statut est adopté par le Conseil le 18 mars 195815. Composé d'un représentant de la direction du Trésor et de la banque centrale par État membre, ainsi que de deux représentants de la Commission, le comité monétaire est l'enceinte privilégiée de discussions de la situation monétaire et financière des États membres et de la Communauté. Il est chargé de la préparation des travaux du Conseil dans ces matières, de la coordination des politiques monétaires et financières, de l'harmonisation des positions en matière de relations monétaires internationales (il entretient des contacts étroits avec le comité directeur de l'Accord monétaire européen) et dispose d'un pouvoir de consultation législatif. Composé d'experts parlant le «même langage», le comité a joué un rôle essentiel dans l'approfondissement des préoccupations communes entre les administrations nationales.

Les dispositions du traité CEE relative à la politique économique sont supprimées par le traité de Maastricht. Seules sont conservés les articles 108 et 109 (actuels articles 143 et 144) aux bénéfices des États membres qui ne participent pas à la zone euro. Le comité monétaire bénéficie d'attributions complémentaires entre 1993 et 1998 afin d'accompagner la mise en place de l'Union économique et monétaire (UEM). Il a été dissous au début de la troisième phase de l'UEM au 1er janvier 1999. Le comité économique et financier reprend ses fonctions, à l'exception de celles monétaires attribuées au Système européen de banques centrales.

Les dispositions relatives à la politique économique esquissent à peine une politique économique et monétaire commune16. La coordination étroite des politiques économiques et monétaires au sein du comité monétaire, la réalisation progressive d'un marché commun et, enfin, le délitement du système monétaire international conduisent à redonner de l'élan à l'idée de l'unification monétaire européenne.

1CARREAU, Dominique, La Communauté économique européenne face aux problèmes monétaires, RTDE, 1971, pp. 586-590.

2BAKER, Age F. P., The Liberalization of Capital Movements in Europe. The Monetary Committee and Financial Integration 1958-1994, The Hague: Kluwer Academic Publishers, 1996, Financial and Monetary Policy Studies Series, vol. 29, spéc. p. 58.

3Le développement ultérieur de régimes de change intra-européens n'est de ce point de vue d'aucune incidence sur la souveraineté monétaire des États, comme le constate la Cour de Justice dans son arrêt du 3 février 1982, Glunz contre Hauptzollamt Hamburg-Waltershof, aff. 28/80, Recueil 197, spéc. 213.

4Mégret, Jacques, Le droit de la Communauté économique européenne. Bruxelles: Éditions de l’Université libre de Bruxelles, vol. 6: Politique économique, 1976, p. 1.

5L'emploi de cette base juridique dans un domaine qui touchait à l'agriculture donne lieu à contestation et à un arrêt de la Cour de Justice, laquelle confirme la décision du Conseil. CJCE, arrêt du 9 octobre 1973, Schlüter contre Hauptzollamt Lörrach, aff. 9/73, Recueil 1135 spéc. 1152.

6Décision du Conseil du 9 mars 1960 concernant la coordination des politiques de conjoncture des États membres, Journal officiel 31 du 9 mai 1960, pp. 764-765.

7Décision du Conseil, du 8 mai 1964, concernant la collaboration entre les services compétents des administrations des États membres dans le domaine de la politique budgétaire, Journal officiel 77 du 21 mai 1964, pp. 1205-1206.

8Décision du Conseil, du 15 avril 1964, créant un Comité de politique économique à moyen terme, Journal officiel 64 du 22 avril 1964, pp. 1033-1039.

9Décision 64/300/CEE du Conseil, du 8 mai 1964, concernant la collaboration entre les banques centrales des États membres de la Communauté économique européenne, Journal officiel 77 du 21 mai 1964, pp. 1206-1207.

10Voir la note accompagnant la rédaction de l'article 104 tel qu'adopté par les chefs de Délégation le 15 décembre 1956. Fonds d'achives du Conseil, CM3 NEGO 242. Conférence intergouvernementale: historique des articles 104, 105 et 106 du traité instituant la CEE. Extraits du document MAE 169 f/56 mar. Com. 12 partiel.

11Les articles 67§2

12Mirabella, Giuseppe, L'unification monétaire de la Communauté économique européenne, Revue économique, 1960, vol. 11, n°6, p. 917.

13Cette obligation est matérialisée le 8 mai 1964 dans une déclaration des représentants des gouvernements des États membres de la CEE réunis au sein du Conseil relative à l'organisation de consultations préalables entre les États membres en cas de modifications des parités de change de leurs monnaies, Journal officiel 64 du 22 mai 1964, p. 1226.

14Maury, René, L’intégration européenne, Paris, Sirey, 1958, pp. 229-232, spéc. p. 230.

15Décision du Conseil du 18 mars 1958 portant statut du comité monétaire, Journal officiel 17 du 6 octobre 1958, p. 390.

16Reuter, Paul, Organisations européennes, 2e éd., Paris, PUF, 1970, p. 61.

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