La Résistance et l’idée européenne face au nouvel ordre européen des Nazis

La Résistance et l’idée européenne face au nouvel ordre européen des nazis



Si, à partir de 1945, les mouvements pro-européens et les militants fédéralistes entrent en action et mènent une propagande active en faveur de l'unification européenne, il faut cependant d’abord mettre en lumière le rôle joué par la Résistance dans la promotion de l'idée européenne pendant la Seconde Guerre mondiale et voir comment les Nazis ont voulu établir un nouvel ordre européen.



Dès le début du conflit, les rapides victoires militaires allemandes sur les démocraties continentales européennes alimentent une intense propagande en faveur du thème de l'Europe allemande. Le Reich veut en effet organiser ses nouvelles conquêtes territoriales et prétend, pour ce faire, vouloir construire une Europe unie, une Europaïsche Wirtschaftsgemeinschaft qui mettrait définitivement fin aux antagonismes nationaux traditionnels. L'Allemagne hitlérienne n'hésite pas alors à se présenter comme le champion de l'unification européenne et de l'ordre nouveau continental.



La propagande officielle exalte d'ailleurs les valeurs de la civilisation occidentale qu'elle prétend défendre face au bolchevisme et à l'impérialisme anglo-saxon. Mais les stratèges nazis prévoient une réorganisation du continent sous la forme d'un grand espace économique et commercial européen entièrement placé au service de l'économie allemande. Les géopoliticiens allemands souhaitent notamment faire des plaines fertiles d'Europe centrale le grenier alimentaire du Reich et pensent parfois à une germanisation forcée des populations asservies. En réalité, les nazis tablent leurs projets sur l'existence d'une race allemande à laquelle appartiendraient, outre les Allemands, les Alsaciens, les Autrichiens, les Luxembourgeois et les Suisses germaniques mais aussi tous les Volksdeutschen qui, en Europe, ont pu avoir des ascendants allemands même s'ils ont perdu par la suite tout contact avec leur culture d'origine. Viendraient alors s'agréger à ce premier ensemble les populations parentes jugées germaniques et facilement assimilables tels que les Scandinaves, les Flamands et les Néerlandais.



Face à ces populations et à celles des pays alliés et satellites (Croatie, Slovaquie, Hongrie, Roumanie et Italie), les Slaves de Pologne, des Pays baltes et de l'Union soviétique sont présentés comme des «sous-hommes» que le Reich peut éliminer ou déplacer et asservir selon ses besoins. Les Juifs et les Tsiganes, considérés comme apatrides, sont quant à eux condamnés à être exterminés. Ainsi l'Allemagne nazie entrevoit-elle la constitution de l'espace vital du Reich entièrement contrôlé par une race germanique réunie et purifiée grâce à la sélection méthodique opérée par des experts raciaux. Les stratèges allemands envisagent également de réunir l'Europe unie et les colonies africaines des États vaincus en une Eurafrique autarcique et contrôlée par les puissances fascistes de l'Axe – l'Allemagne et l'Italie – et leurs pays satellites.



Ces discours sur l'Europe nouvelle, au-delà des raisons d'opportunisme économique immédiat, permettent aux responsables allemands de gagner la confiance de certains collaborateurs dans les pays européens vaincus et occupés. Ainsi, en 1941, est organisée à Paris une grande exposition intitulée «La France européenne» qui vante le slogan d'une France forte dans une Europe forte. Accueillant plus de 600 000 visiteurs, l'exposition fait admirer les richesses agricoles du pays pour mieux situer son rôle dans l'Europe nouvelle sous direction allemande. Cette manifestation est suivie d'autres expositions itinérantes, dont celle sur «Le bolchevisme contre l'Europe» qui montre la croisade engagée par le Reich et ses alliés contre le communisme et pour une Europe unie. Après la guerre, les mouvements communistes sauront habilement tirer profit de cette conception nazie de l'Europe et de la collaboration pour discréditer l'idéal européen qu'ils jugent réactionnaire. 





Le nouvel ordre européen et raciste propagé pendant la guerre par les nazis n'a pas découragé les partisans de l'unification européenne. Tout au contraire, certains groupes de résistance, initialement inspirés par des sentiments patriotiques, ont été peu à peu contraints à penser davantage à l'échelle européenne. Ils croient plus que jamais à la nécessité de la construction d'une Europe démocratique. C’est ainsi que les militants antifascistes et fédéralistes Altiero Spinelli et Ernesto Rossi rédigent leur manifeste pour une Europe libre et unie. Écrit à Ventotene, petite île de la mer Tyrrhénienne où ils sont placés en résidence surveillée, le Manifeste est diffusé clandestinement dès l'été 1941. Dans ce texte fondateur, Spinelli compare l'union de l'Europe au processus de formation d'un État. Il conçoit la fédération européenne comme un pilier de la paix mondiale. En 1943, Spinelli fondera à Milan le Mouvement fédéraliste européen italien.



À la fin de l'année 1942, le cours du conflit se modifie de plus en plus au profit des Alliés. La débâcle allemande en Russie et l'entrée en guerre des États-Unis (décembre 1941) contre les forces de l'Axe renversent en effet le cours des événements et renforcent la confiance des Alliés dans la victoire finale. Les milieux gouvernementaux en exil, sentant la défaite allemande prochaine, s'intéressent alors plus concrètement à leur avenir dans le cadre d'une réorganisation du monde de l'après-guerre. Or les grandes puissances mondiales occupent désormais seules la scène internationale dont les petits États européens se sentent effectivement exclus. Ces derniers s'inquiètent vivement des projets américains de simplification de la carte géopolitique de l'Europe. Ces plans prévoient notamment la suppression des petits pays considérés comme autant de facteurs d'instabilité internationale. Des experts financiers américains et britanniques examinent aussi les possibilités de mise en place d'un nouveau système monétaire international et de relance du commerce mondial sous conduite anglo-américaine.



Les petits pays, qui n'entendent nullement abdiquer leur souveraineté, intensifient aussitôt leurs contacts et développent des projets d'ententes et de groupements régionaux afin de mieux défendre leurs intérêts dans la nouvelle économie internationale et dans le cadre de l'ONU. Le combat pour le droit des petites nations devient un objectif de la politique étrangère de ces pays. Au cours de l'hiver 1942-1943, le général polonais W. Sikorski propose un plan d'ensemble de fédérations régionales européennes. Une union économique regroupant les pays bordant l'Atlantique Nord est également à l'étude. Mais la seule réalisation concrète au cours de cette période est la création d'une union douanière entre la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg au lendemain de la guerre. L'accord monétaire Benelux est signé le 21 octobre 1943 à Londres. Il détermine un taux de change fixe entre le franc belge et le florin et définit un mécanisme de clearing bilatéral. La convention douanière belgo-néerlando-luxembourgeoise est signée le 5 septembre 1944. Elle instaure une communauté tarifaire et prévoit, à terme, la création d'une union économique entre les trois pays.





Dans le même temps, des contacts transnationaux entre différents mouvements de résistance sont formellement établis et aboutissent le 20 mai 1944 à l'adoption à Genève d'un Manifeste de la Résistance européenne. Dans cette déclaration antifasciste, qui porte notamment la signature de Léon Blum, du pasteur Willem Visser 't Hooft et d'Altiero Spinelli, les mouvements résistants réclament la création d'une union fédérale entre les peuples européens. Le texte déclare que les buts de la Résistance ne peuvent être atteints que si tous les pays s'accordent à dépasser le dogme de la souveraineté absolue des États et acceptent de s'intégrer dans une organisation fédérale, seule capable d'assurer la participation pacifique du peuple allemand à la vie européenne. Le manifeste plaide aussi pour l'établissement d'un gouvernement responsable envers les peuples des pays membres de la fédération, d'une armée placée sous les ordres de ce gouvernement fédéral et excluant toute armée nationale et d'un tribunal suprême compétent pour juger les questions relatives à l'interprétation de la Constitution fédérale et pour trancher les différends éventuels entre les États membres de la fédération. La déclaration de Genève réclame enfin la réalisation de valeurs universelles comme la démocratie, la justice sociale et le respect des droits de l'homme.



Un comité provisoire pour la fédération européenne est également mis sur pied pour servir de bureau de liaison. Le 7 juillet 1944, les participants à la conférence internationale de Genève approuvent un nouveau projet de déclaration des résistants européens qui, diffusé clandestinement, suscite majoritairement l'adhésion. À Londres, des intellectuels et des responsables politiques en exil songent aussi à l'Europe future et échafaudent divers projets de fédération européenne.



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