L'évolution de l'UEO

L’évolution de l’Union de l’Europe occidentale


Dès l’entrée en vigueur du traité de Bruxelles modifié, l’Union de l’Europe occidentale (UEO) allait être engagée dans quelques dossiers majeurs. Elle fut d’abord engagée dans le règlement du problème de la Sarre. Le malaise créé par le statut particulier de ce territoire reçu par la France dans le cadre des réparations (1919), revenu à l’Allemagne (1935) puis inclus dans la zone d’occupation française (après la Seconde Guerre mondiale) aboutira, dans le cadre des accords de Paris (1954), à donner à la Sarre un statut européen sous l’autorité de l’UEO. Le 23 octobre 1955, un référendum fut ainsi organisé par l’UEO pour fixer le sort définitif du territoire mais il aboutit au refus majoritaire des Sarrois de conserver ledit statut. Après des élections organisées sous les auspices de l’UEO, la Sarre retourna à la République fédérale d’Allemagne (RFA). L’UEO fut un élément moteur du rapprochement entre la France et la RFA. Elle fut également associée au rapprochement du Royaume-Uni avec les États membres continentaux de l’UEO à la fois en termes du maintien de forces britanniques sur le Rhin (BAOR(1)) qu’en tant qu’intermédiaire dans les négociations entre Londres et les Communautés européennes jusqu’à l’adhésion du Royaume-Uni à celles-ci le 1er janvier 1973.


Cependant, cette visibilité de l’organisation entre 1954 et 1973 fut toute relative. Pour la question sarroise, l’UEO ne fut qu’un simple administrateur judiciaire. Elle se trouva en outre dessaisie à partir de 1960 de l’exercice de ses compétences sociales et culturelles au profit du Conseil de l’Europe. Ce dessaisissement rejoignait celui relatif au domaine militaire (avec la primauté à l’Alliance atlantique) et au domaine économique (avec le projet communautaire du marché commun). Le débat sur les questions nucléaires européennes à partir des initiatives volontaristes au sein de l’Assemblée de l’UEO (au travers des débats et rapports parlementaires) fut rapidement «étouffé» par les capitales européennes qui divergeaient à ce sujet. La riposte graduée(2) et le projet de force multilatérale nucléaire (MLF(3)) devinrent des sujets impliquant les capitales, l’Alliance atlantique et non pas l’UEO.


Après plusieurs années d’endormissement suite notamment à l’entrée du Royaume-Uni dans le marché commun en 1973, l’UEO revint au-devant de la scène. Plusieurs événements expliquent cette nouvelle posture. Après l’échec du plan Genscher-Colombo (novembre 1981) visant à étendre les domaines de la coopération politique européenne (CPE) aux questions de sécurité et de défense et compte tenu des événements internationaux autour de la crise des euromissiles, plusieurs capitales envisagèrent d’organiser un cadre de discussion européen sur ces questions ailleurs qu’au sein des Communautés européennes.


Sur initiative belge(4) et française(5), l’UEO fut choisie comme cadre des discussions. La déclaration de Rome (26 et 27 octobre 1984) officialise en quelque sorte la relance de l’UEO tout en mettant en avant le concept d’identité européenne de sécurité et de défense (IESD), en insistant par ailleurs sur la nécessité de mieux coopérer et d’utiliser davantage l’Organisation du traité de Bruxelles modifié. Cette mise en évidence se concrétise entre autres par l’adoption de réunions bisannuelles du Conseil des ministres de l’UEO (qui réunissait enfin les ministres des Affaires étrangères et de la Défense).


La visibilité de l’UEO avait été accentuée par la perception européenne d’un duopole «fermé» américano-russe autour des négociations INF(6) sur le désarmement nucléaire en Europe, sans représentation européenne. Cette situation contribua aussi à l’adoption par l’UEO, à La Haye, d’une «plate-forme sur les intérêts européens en matière de sécurité» (27 octobre 1987). Ce document important soulignait le caractère indivisible de la sécurité de l’Alliance (à travers le renforcement de son pilier européen) mais aussi, et surtout, insistait sur l’idée que «la construction d’une Europe intégrée restera[it] incomplète tant que cette construction ne s’étendra[it] pas à la sécurité et à la défense».


Ce fut l’époque de l’élargissement de l’UEO, qui comptait sept membres à l’origine(7), à l’Espagne et au Portugal (devenus membres le 27 mars 1990) puis des demandes turque et grecque. Ce fut aussi à cette époque que l’UEO s’engagea dans quelques actions concertées dans le golfe Persique, sur le Danube, à Mostar (Bosnie-Herzégovine) et en Albanie. La renaissance de l’UEO permit également de réfléchir au renforcement de la contribution européenne à la solidarité au sein de l’Alliance atlantique tout en formulant comme objectif une politique de défense européenne commune.


Plusieurs outils furent mis en place comme les forces relevant de l’UEO (FRUEO), les structures opérationnelles (Cellule de planification, Centre de situation, Comité militaire, Centre d’imagerie satellitaire de Torrejón, Institut d’études de sécurité,…), la définition des missions dites de Petersberg et plusieurs documents conceptuels comme les déclarations UEO du Kirchberg (mai 1994), de Noordwijk (novembre 1994) puis de Madrid (novembre 1995), préfigurant en quelque sorte la future stratégie européenne de sécurité dans le cadre de l’Union européenne (UE) (2003).


Parallèlement, d’intenses débats eurent lieu dans les années 1990 dans le cadre de l’UEO, de l’UE et de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) sur la question de l’IESD et sur le degré d’autonomie des organisations européennes vis-à-vis de l’Alliance atlantique. Le traité de Maastricht (UE), signé le 7 février 1992, avait indiqué que l’UEO ferait partie intégrante du développement de l’UE et renforcerait sa contribution à la solidarité au sein de l’Alliance atlantique. Devant rester compatible avec l’OTAN, l’UEO sera donc développée par étapes en tant que composante de défense de l’UE («bras armé de l’Union») et comme moyen de renforcer le pilier européen de l’Alliance atlantique.


D’un côté, l’UEO devait élaborer et mettre en œuvre les décisions et actions de l’UE ayant des implications dans le domaine de la défense. D’un autre côté, l’UEO devait agir en conformité avec les positions adoptées dans l’Alliance atlantique. Cette situation particulière avec une UEO en quête d’identité aboutira à maintes ambiguïtés doctrinales et politiques autour du concept d’IESD, du contrôle politique des groupes de forces interarmées multinationales (GFIM(8)) pouvant être mises à disposition de l’UEO par l’OTAN. La participation à des missions de gestion de crise à l’extérieur du territoire des États membres des deux organisations faisait également l’objet de rivalités.


Malgré la réforme de structure de l’OTAN qui devait permettre d’exprimer davantage l’IESD, sans que cela n’aboutisse à un dédoublement des moyens au profit de l’UEO, la querelle franco-américaine du commandement sud(9) en 1996 et les incertitudes à propos des «forces séparables mais non séparées»(10) confirmèrent les limites de l’autonomie européenne et la dépendance des Européens vis-à-vis des moyens stratégiques américains et des outils intégrés de l’OTAN.


Les relations entre l’OTAN et l’UEO demeurèrent marquées par la dominance de la première sur la seconde, l’UEO ne pouvant s’occuper que des tâches subalternes de la première ainsi que des missions susceptibles de naître d’une politique étrangère et de sécurité commune (PESC) renforcée. Le lien politique entre l’UE et l’UEO fut privilégié, celui avec l’OTAN apparaissant uniquement fonctionnel et militaire. Cependant, une identité européenne plus affirmée en matière de sécurité et de défense au sein même de l’UE était, à l’époque, vouée à l’échec vu l’incapacité de celle-ci à agir à l’époque efficacement au niveau des tensions identitaires balkaniques.


Les années 1990 virent ainsi deux processus parallèles: celui d’une «otanisation» de l’UEO en matière de normes et de culture militaire et celui d’une dépendance au bon vouloir de l’UE qui progressivement s’appropria de la dimension sécurité-défense. L’UEO devint une chaîne de transmission et ses FRUEO, des outils à «double casquette». Il y avait interdépendance mais asymétrie au profit prioritairement de l’OTAN. Ceci expliquera le peu de visibilité opérationnelle de l’UEO dans la gestion des crises, sur fond de divergences diplomatiques intra-européennes.


Ainsi, pour des raisons historiques, politiques et opérationnelles, le processus de renforcement des liens entre l’OTAN et l’UEO était plus avancé qu’entre l’UEO et l’UE. Parallèlement, la France et le Royaume-Uni s’opposèrent sur l’avenir de la sécurité en Europe. La motivation britannique était de soutenir longtemps le développement de l’UEO afin de ralentir les tentatives d’incorporer la politique de défense dans l’UE. Celle de la France était alors de réduire l’influence américaine tout en souhaitant édifier un pilier de la sécurité européenne largement autonome par rapport à l’Alliance atlantique.


Face aux tensions diplomatiques autour des guerres balkaniques et devant l’obligation de réviser le traité de Maastricht, de nouvelles décisions favorables à une plus grande visibilité de l’UE en matière de sécurité et de défense furent prises à Amsterdam (1997) au «détriment» de l’UEO: création de l’Unité de planification de la politique et d’alerte rapide (UPPAR), d’un haut représentant pour la PESC et de l’incorporation des missions de Petersberg dans le traité sur l’UE. L’UE peut dorénavant «utiliser» l’UEO, en lieu et place du «faire appel à» contenu dans le traité de Maastricht. L’intégration des missions de Petersberg dans le traité sur l’UE dans un cadre toujours intergouvernemental allait affaiblir l’UEO. Londres, fortement minorisée, accepta finalement le transfert des fonctions politiques et militaires de l’UEO à l’UE, à l’exception de celles résultant de l’engagement d’assistance mutuelle dans le cadre de la défense collective.


Le Royaume-Uni avait en effet proposé de transférer des moyens militaires de l’UEO dans l’OTAN et la création d’un quatrième pilier au sein de l’UE, alors que la France et l’Allemagne voulaient accélérer l’intégration de tous les outils politiques et militaires de l’UEO dans l’UE. Paris entendait en particulier veiller à ce qu’une telle intégration soit finalisée préalablement à tout «démantèlement» de l’UEO. Le but était d’éviter que les pays partenaires associés et les pays observateurs de l’UEO court-circuitent toute volonté d’action et toute maturation de l’UE dans ce domaine particulier.


Trois Conseils de l’UEO ont alors successivement défini les modalités de l’inclusion des fonctions de l’UEO qui furent nécessaires à l’UE pour assumer ses nouvelles responsabilités dans le domaine des missions de Petersberg et fixer les mesures de cessation d’activités et de missions de l’UEO: Luxembourg (23 novembre 1999), Porto (15 et 16 mai 2000) et Marseille (13 novembre 2000).


À partir de ce moment, le résiduel de l’UEO fut uniquement parlementaire (l’Assemblée) et juridique (le traité) alors que le Conseil ne se réunira plus, que son secrétaire général, Javier Solana, avait décidé de ne plus s’y investir et que le GAEO(11) et l’OAEO(12) avaient déjà disparu suite à la montée en puissance de la nouvelle Agence européenne de défense.


L’UEO a pu être considérée comme une «coopération renforcée» de dix États membres de l’UE (les membres de l’UEO à part entière) et un garde-fou à travers son article V de défense collective, tant que l’UE n’avait pas adopté et ratifié le traité de Lisbonne qui reprenait à son compte cette clause de défense collective, bien que sous une forme atténuée. Un tel principe de solidarité est en fait inhérent à tout processus d’intégration économique, politique et juridique. Cette obligation juridique repose toujours sur l’OTAN en cas de menace majeure pour les pays européens membres des deux organisations. En d’autres mots, si les Dix de l'UEO (qui sont aussi membres de l'OTAN et de l'UE) avaient fait jouer l'article V, le traité de Bruxelles modifié sous-entendait que la mise en œuvre de la réponse militaire devait passer par une coopération avec les moyens, les outils, l’expertise et les procédures de l’OTAN. C’est en effet l’article IV du traité de Bruxelles modifié(13) qui exprimait cette subordination qui n’est pas liée à la gravité de la menace ou de l’agression.


Les relations entre l’UEO et l’UE devinrent des plus minces. À cet égard, le protocole n° 11 sur l’article 42 du traité de Lisbonne précisait simplement que «l’Union européenne, en collaboration avec l’Union de l’Europe occidentale, élabore des arrangements visant à améliorer la coopération entre elles».


Suite à la ratification dudit traité et la volonté de réduire les coûts d’une organisation jugée «redondante» par rapport à l’Union européenne en général et surtout à la PSDC (Politique de sécurité et de défense commune) en particulier, certaines autorités politiques proches des gouvernements avaient déjà laissé entendre la fin prochaine de l’UEO. Le Royaume-Uni fut le premier à déclarer officiellement sa volonté d’en finir. Dix États membres à part entière de l’UEO annoncèrent, le 31 mars 2010, la dissolution de l’organisation pour fin juin 2011. Quant à la clause d’assistance mutuelle du traité de Lisbonne, elle reprenait l’esprit de l’article V du traité de Bruxelles modifié. En outre, le traité de Lisbonne permit la création de groupes interparlementaires ad hoc, pouvant jouer le même rôle que l’UEO, mais à 28 aujourd’hui. Cependant, dans la réalité, le contrôle politique en matière de PSDC reste dépendant des moyens, de la marge de manœuvre et de l’influence accordés à une organisation interparlementaire européenne en matière de sécurité et de défense réunissant parlementaires nationaux et parlementaires européens et qui est aujourd’hui en train de se structurer laborieusement(14) vu les rivalités en termes de «poids» des uns et des autres.


(janvier 2014)



(1) British Army of the Rhine.

(2) Doctrine nucléaire des États-Unis selon laquelle la riposte doit être proportionnée à l'attaque.

(3) Multilateral Force.

(4) Cf. TINDEMANS Léo. Débloquer la coopération européenne. In Le Monde, 23 décembre 1983.

(5) Mémorandum soumis en février 1984, soutenu et complété par la Belgique et la RFA.

(6) Intermediate Nuclear Forces.

(7) Belgique, France, Royaume-Uni, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, RFA.

(8) En anglais: CJTF, Combined Joint Task Forces.

(9) Afin d’équilibrer le pilier européen dans l’Alliance tout en cherchant à disposer d’un commandement majeur, la France de Jacques Chirac engage des négociations en 1995 sur la pleine participation du pays dans le commandement intégré de l’OTAN. Ces pourparlers échouèrent dans la mesure où Washington refusa d’abandonner aux Français le commandement sud de l’Alliance installé à Naples et qui contrôle la Méditerranée.

(10) Le concept de «forces séparables mais non séparées» concerne les groupes de forces interarmées multinationales (ou GFIM) qui sont des forces ou des capacités associées à l’OTAN mais qui peuvent être mises à la disposition de l’UE selon certaines modalités mais sans que celles-ci soient une duplication des moyens mis exclusivement au profit de l’UE.

(11) Groupe armement de l'Europe occidentale.

(12) Organisation de l'armement de l'Europe occidentale.

(13) «Dans l'exécution du Traité, les Hautes Parties Contractantes et tous organismes créés par Elles dans le cadre du Traité coopéreront étroitement avec l'Organisation du Traité de l'Atlantique nord. En vue d'éviter tout double emploi avec les Etats-majors de l'OTAN, le Conseil et l'Agence s'adresseront aux autorités militaires appropriées de l'OTAN pour toutes informations et tout avis sur les questions militaires».

(14) Cf. les conférences des présidents des parlements de l’Union européenne (Bruxelles, 4-5 avril 2011; Varsovie, 20-21 avril 2012) portant création d’une Conférence interparlementaire pour la PESC et la PSDC. La première conférence interparlementaire eut lieu à Bruxelles en avril 2011. Les suivantes eurent lieu à Chypre en septembre 2012 et à Dublin en mars 2013.

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