L'adhésion du Royaume-Uni aux CE

L'adhésion du Royaume-Uni aux CE


Les négociations avec le Royaume-Uni, interrompues en décembre 1967 suite au second veto français, reprennent officiellement le 30 juin 1970 à Luxembourg dans la foulée du sommet de La Haye qui, en décembre 1969, lie le renforcement et l'élargissement des Communautés européennes (CE). Les discussions diplomatiques sont menées parallèlement avec le Danemark, l'Irlande et la Norvège dont les économies demeurent étroitement liées au marché britannique par l'entremise, notamment, de l'Association européenne de libre-échange (AELE). Les négociations s'engagent néanmoins dans des conditions très différentes de celles de 1961 et de 1967. Entre-temps, les CE se sont en effet consolidées, les politiques communes ont prouvé leur efficacité et le Marché commun est entré dans sa phase définitive. Pour les pays candidats, l'acquis communautaire qu'ils devront accepter est donc beaucoup plus important qu'en 1961.



Négociations avec le Royaume-Uni


Lors des premières négociations d'adhésion de 1961, le gouvernement conservateur britannique a posé de nombreuses conditions afin de préserver les relations économiques et monétaires privilégiées qu'entretient le Royaume-Uni avec les États du Commonwealth. Les travaillistes manifestent également leur inquiétude de ruiner les acquis du Commonwealth au profit d'une Europe qu'ils qualifient généralement de capitaliste. Nombreux sont ceux qui craignent aussi de voir s'envoler les prix des produits en provenance des pays du Commonwealth en raison de la disparition du système de préférences impériales. Les responsables britanniques veillent par ailleurs à rassurer leurs partenaires des Dominions qui s'inquiètent vivement de se trouver désormais relégués au second rang des préoccupations de l'Angleterre. Ainsi, la Commonwealth Industries Association, puissante organisation patronale, fait vigoureusement campagne contre la candidature britannique.


Mais à la fin des années soixante, les liens du Royaume-Uni avec le Commonwealth se sont grandement relâchés. Tandis que les pays du Commonwealth assurent encore 48 % des importations et 49 % des exportations britanniques en 1954, le Royaume-Uni n'importe plus en 1972 que 19 % de ses produits du Commonwealth qui n'absorbe d'ailleurs plus que 20 % des exportations britanniques. La CEE tend, pour la même période, à remplacer toujours plus le Commonwealth dans la part des investissements extérieurs du Royaume-Uni. En outre, les liens politiques et stratégiques entre le Royaume-Uni et les pays issus de l'Empire, malgré un traditionnel attachement sentimental, ne cessent de se dégrader au cours des années 1960.


Dès lors, les négociateurs britanniques se montrent plus flexibles et posent cette fois moins de conditions à leurs futurs partenaires européens. La décision du Royaume-Uni d'adhérer à la Communauté économique européenne (CEE) repose à la fois sur des motivations économiques et politiques. Les Britanniques sont bien conscients qu'après avoir pratiquement renoncé à la dimension impériale de leur politique étrangère, il ne leur est plus possible de se tenir écartés de la CEE dont la position sur la scène internationale ne cesse en revanche de s'affirmer. Il leur est également de plus en plus difficile de concilier leurs relations privilégiées avec les Etats-Unis et leur rapprochement des affaires européennes. Dans le même temps, la croissance économique discontinue des Six rend chaque jour la CEE plus attractive. De son côté, la France voit désormais d'un bon œil l'adhésion du royaume-Uni à la CEE dans la mesure où Paris cherche un moyen d'équilibrer la puissance allemande en Europe en s'appuyant sur les Britanniques.


Les questions les plus débattues concernent la contribution financière du Royaume-Uni aux ressources communes et sa participation à la Politique agricole commune (PAC). Ces problèmes, d'ailleurs étroitement liés, ne sont qu'imparfaitement clarifiés puisque le gouvernement Thatcher y reviendra à la fin des années quatre-vingt. Les autres pierres d'achoppement, à savoir le sucre antillais et le beurre néo-zélandais, trouvent en revanche une solution définitive. Au cours de l'été 1971, le gouvernement d'Edward Heath mène en Angleterre une intense campagne de propagande en faveur de l'adhésion au Marché commun. Le 7 juillet 1971, le gouvernement publie The United Kingdom and the European Communities, un Livre blanc dans lequel il examine point par point les avantages qu'offre l'adhésion du pays à la CEE.


La contribution financière britannique


Le problème de la contribution financière britannique est de loin le point le plus difficile à régler. En suivant la décision adoptée par les Six d’assurer le financement du budget communautaire par des ressources propres, la facture risque en effet d'être très lourde pour le Royaume-Uni. Qui plus est, la France demande aux Britanniques de payer l'entièreté de leur contribution dès leur entrée dans la CEE, soit près d'un cinquième du budget total. Il apparaît alors nécessaire de trouver une solution de compromis.


Selon les règles de financement communautaire, et plus particulièrement en application des principes de la préférence communautaire et de la réalisation du marché intérieur, le Royaume-Uni doit verser à la CEE des sommes importantes au titre des prélèvements agricoles. En effet, étant donné que le Royaume-Uni importe la majorité de ses produits alimentaires à partir de pays tiers, à des prix inférieurs aux prix communautaires, les prélèvements sont très élevés. Par contre, comme le secteur agricole britannique occupe une place de plus en plus faible dans l'activité économique nationale, le retour financier assuré par le Fonds européen d'orientation et de garantie agricoles (FEOGA) s’avère modeste.


En outre, suivant les régions, l'agriculture britannique est soit très performante et produit à des prix très compétitifs, soit peu développée et nécessite un soutien par des subventions directes de type deficiency payments que prohibe précisément la Politique agricole commune (PAC) au profit d'un régime de prélèvements-restitutions.


Le Royaume-Uni, se sentant lésé par le mode de financement communautaire et par l’absence d’un «juste retour» cherche par tous les moyens à obtenir une diminution de sa contribution. Comme les Six sont disposés à n'accorder qu'une période de transition plus longue, le contexte politique devient tendu. Cependant, la rencontre des 20 et 21 mai 1971, entre le président français Georges Pompidou et le Premier ministre britannique Edward Heath, débouche sur une large entente et une volonté commune d’aboutir dans les négociations en cours. Dans les mois qui suivent, Londres accepte le système des préférences communautaires et consent à sa participation progressive au financement du budget de la CEE qui à terme atteint 19 % du budget communautaire total.



Le rôle international de la livre


Un point de discorde important est le rôle international de la livre sterling. La Commission attire fortement l'attention des négociateurs sur ce point. La France demande à l'Angleterre de cesser, à moyen terme, d'être une monnaie de réserve internationale. Le pays conserve en effet des liens monétaires étroits avec les pays de la zone sterling au sein du Commonwealth. D'autre part, les Six ne souhaitent pas éternellement soutenir la livre depuis longtemps affaiblie par une balance courante des paiements britannique en déficit chronique. Ces déficits découlent en même temps des déséquilibres courants entre les recettes et les dépenses britanniques et du fort endettement extérieur du Royaume-Uni. Les pays des CE financent en effet, par l'accroissement de leurs créances sur le Royaume-Uni ou par l'accroissement de leurs avoirs en dollars et de leurs créances sur le Fonds monétaire international (FMI), la majeure partie de l'aide financière contractée par l'Angleterre auprès des banques centrales étrangères et du FMI.


Le 21 mai 1971, une entrevue entre le Premier ministre britannique, Edward Heath, et le président français, Georges Pompidou, permet pourtant de débloquer la situation. Un compromis sur le rôle de la livre et sur le niveau et la progression de la contribution britannique est finalement trouvé. Le texte adopté comporte cependant des ambiguïtés qui permettront aux Britanniques de rediscuter de leur contribution à la fin des années quatre-vingt.



Les relations avec les membres du Commonwealth


Les exportations de sucre des Indes occidentales et de beurre de Nouvelle-Zélande constituent des pierres d'achoppement importantes dans les négociations entre l'Angleterre et la CEE.


En ce qui concerne le sucre antillais, l'Angleterre se satisfait d'un engagement moral à concrétiser par des accords entre la CEE et les pays du Commonwealth qui accepteront d'adhérer à la seconde convention de Yaoundé, entrée en vigueur le 1er janvier 1971.


Le 23 juin 1971, un compromis est également trouvé pour les importations de beurre néo-zélandais. L'exportation de beurre vers le Royaume-Uni constitue en effet pour la Nouvelle-Zélande, pays agricole situé aux antipodes, un débouché essentiel. Finalement, un régime spécial et une période de transition adaptée sont accordés au Royaume-Uni pour l'aider à se conformer aux règles communautaires.



L'adhésion du Royaume-Uni


Au Royaume-Uni, l'adhésion est approuvée le 28 octobre 1971 par un vote qualifié d'historique à la Chambre des Communes. En-dehors des clivages partisans, le vote positif l'emporte.


Le 22 janvier 1972, le Royaume-Uni signe à Bruxelles le traité d'adhésion. Le 13 juillet 1972, la Chambre des Communes se prononce à nouveau en faveur de l'adhésion. Le 20 septembre 1972, la Chambre des Lords fait de même. Le 6 octobre, la Reine clôt la procédure d'adhésion du Royaume-Uni qui intègre les CE dès le 1er janvier 1973.



Demande de renégociation britannique


La victoire du Parti travailliste aux élections générales au Royaume-Uni, en février 1974, fait naître des inquiétudes parmi les membres fondateurs de la CEE. Le travailliste Harold Wilson avait lui-même sollicité l'adhésion du pays à la CEE en 1967, lorsqu'il était Premier ministre. Passé dans l'opposition en 1970, il critique sévèrement les compromis acceptés par son successeur, le conservateur Edward Heath, au moment de la ratification du traité d'adhésion en 1972.


En février 1974, Wilson revient au pouvoir. Il remet immédiatement en question les conditions d'adhésion britannique à la CEE. Son ministre des Affaires étrangères, James Callaghan, réclame dès sa première intervention au Conseil des ministres, le 1er avril 1974, une renégociation fondamentale des conditions fixées par les traités d'adhésion négociés par les responsables conservateurs.


Le nouveau gouvernement britannique ne remet certes pas en question le principe même de l'adhésion britannique, mais il espère quand même obtenir des améliorations et des modifications favorisant le maintien du Royaume-Uni dans les CE. Il veut notamment obtenir le prolongement des mesures préférentielles consenties pendant la période transitoire et destinées à permettre l'entrée du sucre antillais et du beurre néo-zélandais au Royaume-Uni.


En outre, les Anglais exigent l'allégement de leur participation financière et la reconduction des subventions directes, les deficiency payments, aux paysans des régions les plus défavorisées. Acculé par l'aile gauche de son parti, Harold Wilson doit finalement accepter un référendum sur le principe de l'adhésion britannique à la CEE après une renégociation des termes de l'adhésion.


Les partenaires du Royaume-Uni, malgré les réticences françaises, se montrent alors prêts à lui accorder certaines concessions pour éviter une victoire des adversaires de l'Europe jugée dommageable à l'ensemble du processus d'unification. Au sommet de Paris des 9 et 10 décembre 1974, Wilson obtient satisfaction dans la création d'un fonds européen de développement régional, dont l'Angleterre est largement bénéficiaire, et dans la perspective d’obtenir un mécanisme de correction pour la contribution budgétaire britannique. Ce dernier point est d’ailleurs avalisé lors du Conseil européen tenu à Dublin les 10 et 11 mars 1975.


Le gouvernement Wilson, qui recommande à ses concitoyens d'approuver les résultats de la renégociation, publie le 27 mars 1975 un nouveau Livre blanc plaidant pour un maintien du Royaume-Uni dans les CE. Une intense campagne d'opinion s'engage alors qui oppose des mouvements tels que Britain in Europe (BIE), qui milite en faveur du maintien dans la CEE au National Referendum Campaign (NRC) qui entretient au contraire la nostalgie de l'Empire. Les partisans de l'unification européenne réussissent à convaincre une majorité d'Anglais à approuver par 67,2 % le maintien du pays dans la CEE lors du référendum national organisé le 5 juin 1975.




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