L'éclatement de l'Union soviétique et les résurgences des identités nationales

Du fédéralisme soviétique à la création de la Communauté des États indépendants (CEI)


L’effondrement du communisme soviétique débouche sur la dislocation de l’Union soviétique confrontée à une crise idéologique, politique et économique. Cause et conséquence de la fin du communisme, la dislocation de l’empire se précipite. Les structures spécifiques du « fédéralisme soviétique » accélèrent davantage l’implosion de l’Union soviétique alors qu’elles étaient destinées, avant tout, à la consolider. A tour de rôle, les Républiques socialistes soviétiques (RSS) proclament leur souveraineté en été 1991. En décembre de la même année, certaines de ces Républiques, devenues indépendantes entre-temps, redéfinissent leurs liens respectifs à travers la création de la Communauté des États indépendants (CEI).


Lénine et le fédéralisme soviétique


En 1917, les révolutionnaires communistes ont pour ambition d’abolir le capitalisme et le despotisme centralisé du régime tzariste. Après la brève période de gouvernance de la coalition démocratique qui suit la révolution du printemps 1917, le Parti bolchevik(1), parti révolutionnaire marxiste mené par Lénine, devient progressivement majoritaire dans les organes politiques ouvriers et paysans dits Soviets. Il finit par renverser le gouvernement provisoire lors de la révolution du 25 octobre. Lénine met fin à la centralisation du pouvoir qui caractérisait l’empire tzariste en dotant le nouvel État soviétique d’une structure fédérale. En tenant compte des différentes nations et ethnies présentes sur le vaste territoire contrôlé par les bolcheviks, Lénine établit un fédéralisme à plusieurs niveaux conférant un certain degré d’autonomie aux différentes « nations soviétiques ». La Constitution de la République socialiste fédérative de Russie (RSFSR) qui date du 10 juillet 1918, consacre la naissance du premier État soviétique. Cet État fédéral se compose de la République socialiste soviétique (RSS) de Russie, de plusieurs Républiques socialistes soviétiques autonomes (RSSA), de Régions autonomes (RA) et de Districts autonomes (DA). Les différentes entités fédérées jouissent de compétences et de degrés d’autonomie variés. Une fois la RSFSR constituée, Lénine encourage la création de nouvelles républiques socialistes soviétiques sur le modèle de la RSFSR sur l’ensemble des territoires de l’ancien empire russe.


C’est ainsi que naissent d’autres Républiques soviétiques sous l’impulsion des gouvernements révolutionnaires nationaux. Le 10 mars 1919, le VIIe Congrès des Soviets d’Ukraine adopte une Constitution sur le modèle de la RSFSR. En Biélorussie, le Ier Congrès des Soviets adopte en février 1919 une constitution de type soviétique. En Lituanie, Lettonie et Estonie, des républiques socialistes soviétiques sont également formées. Mais elles disparaissent en 1919 par l’effondrement des forces soviétiques. En Caucase, des Républiques soviétiques voient le jour en 1920 en Azerbaïdjan et en Arménie. En revanche, la Géorgie est alors dirigée par un gouvernement menchevik(2) qui n’accepte pas l’autorité des bolcheviks. Le conflit est réglé par l’incursion de l’Armée rouge en Géorgie contre le pouvoir menchevik. Des Constitutions sur le modèle de celle de la RSFSR sont adoptées par les RSS d’Azerbaïdjan (19 mai 1921), d’Arménie (2 février 1922) et de Géorgie (28 février). Dès 1920, la RSFSR domine de facto les autres Républiques tant politiquement et militairement qu’économiquement et démographiquement(3).


La naissance de l’Union soviétique (30 décembre 1922)


Avec la victoire définitive des bolcheviks sur les mencheviks, les libéraux et les «blancs»(4), Lénine a pour ambition de renforcer et de codifier les liens entre les différentes républiques socialistes soviétiques. Le 10 août 1922, une commission, présidée par Staline, commissaire du peuple aux nationalités, est constituée afin d’élaborer un projet d’État fédéral. Celui-ci est présenté le 10 septembre 1922 et prévoit l’absorption des RSS par la RSFSR. En effet, Staline propose que l’Ukraine, la Biélorussie, la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan fassent partie intégrante de la RSFSR en qualité d’unités autonomes. Or, les RSS ne sont pas toutes favorables à cette conception. Ce sont surtout les dirigeants communistes caucasiens(5) qui manifestent leur désaccord. Finalement, Lénine intervient en tenant compte des considérations des différentes RSS et accepte notamment l’adoption le 13 décembre 1922 de la Constitution de la République Socialiste Soviétique Fédérative de Transcaucasie, constituée des RSS d’Arménie, d’Azerbaïdjan et de Géorgie, par le Ier Congrès des Soviets de Transcaucasie.


Le 30 décembre 1922, le Ier Congrès des soviets(6) crée l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) en adoptant le traité et la déclaration d’union entre les quatre républiques (RSFSR, RSS d’Ukraine, RSS de Biélorussie, RSSF de Transcaucasie). Les RSS d’Ukraine et de Biélorussie ainsi que la RSSF de Transcaucasie ne seront donc pas absorbées par la RSFSR. Chaque République garde sa propre constitution. A peine une année après leur adoption, le traité et la déclaration d’union(7), sont remplacés par la deuxième constitution de l’Union soviétique, la constitution Lénine-Trotski. Le «texte commun sur la création de l’Union soviétique» est ratifié le 31 janvier 1924 par le IIe Congrès des soviets.


L'URSS regroupe plusieurs républiques fédérées dont les frontières sont constituées selon une répartition démographique correspondant à un « peuple » dans sa définition soviétique. La constitution Lénine-Trotski de 1924 consacre, du point de vue formel, l’union de nations souveraines égales en droit. Elle accorde aux RSS le droit à la sécession (article 4), comme la possibilité d’adhésion de nouvelles républiques socialistes (préambule). Au cours des années 1920, de nombreux remaniements et découpages territoriaux ont lieu avec formation de plusieurs républiques socialistes soviétiques autonomes (RSSA) à l’intérieur des RSS(8) et avec création de trois nouvelles républiques fédérées (les RSS de Turkménistan et d’Ouzbékistan, intégrées jusque-là à la RSFSR, puis la RSS du Tadjikistan, dissociée de l’Ouzbékistan).


La troisième constitution soviétique, adoptée le 5 décembre 1936 et connue sous le nom de Constitution Staline, redéfinit les structures fédérales et le gouvernement de l'Union soviétique en centralisant davantage les prérogatives de Moscou sur les autres RSS. Outre la concentration du pouvoir au profit de la direction fédérale du Parti communiste, les intérêts de l’URSS se confondent de plus en plus avec les intérêts de la RSFSR.


Avec la Constitution de 1936, le nombre des républiques fédérées passe de 7 à 11. La RSSF de Transcaucasie est dissoute et l’Arménie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan entrent directement dans l’URSS sous forme de RSS. En plus, deux nouvelles républiques voient le jour : les RSS du Kazakhstan et du Kirghizistan.


Au cours de la Seconde guerre mondiale, d’autres Républiques socialistes soviétiques sont crées en 1940 par l’incorporation d’États précédemment indépendants (Lituanie,-Lettonie, Estonie). Le 12 octobre 1924, l'Union soviétique avait déjà mis en place une République autonome socialiste soviétique moldave, intégrée à la RSS d’Ukraine. La RSSA moldave donnait officiellement de nombreux droits à la minorité roumaine de la RSS d’Ukraine et devait selon Staline «préfigurer ce que sera un jour la Roumanie soviétique». En août 1940, suite au pacte germano-soviétique de 1939, la RSSA moldave est transformée en RSS de Moldavie et devient une entité fédérée de l’URSS. La RSS de Carélie, territoire appartenant anciennement à la Finlande et annexé en 1940 par l’URSS, est intégrée en 1956 à la RSFSR en tant que République autonome de Carélie. L’Union des Républiques socialistes soviétiques a perduré ensuite sans la moindre modification d’ordre structurel jusqu’à son implosion.


La structure fédérale de l’URSS (1956-1990)


L’organisation de l’URSS perdure sans la moindre modification d’ordre structurel de 1956 à 1990. L’État fédéral soviétique est composé de 15 entités fédérées, les RSS. Les RSS, qui en tant que Républiques souveraines gardent leur propre constitution, sont à leur tour divisées en régions (ou oblast) à l'exception des RSS de Lettonie, de Lituanie, d'Estonie et de Moldavie qui ont une structure unitaire. Certaines républiques fédérées (Russie, Géorgie, Arménie, Ouzbékistan et Tadjikistan) comportent dans leur structure des républiques socialistes soviétiques autonomes qui jouissent d’un certain degré d'auto-gouvernance. Par ailleurs, certains territoires au sein de la RSFSR et des RSS de Tadjikistan, Géorgie et Azerbaïdjan bénéficient d’un statut de région autonome.


Des quatre constitutions soviétiques, la troisième, celle de 1936, est la plus longtemps appliquée. Elle n’est remplacée que le 7 octobre 1977 lorsque le soviet suprême(9) de l’URSS adopte à l'unanimité la quatrième et dernière constitution soviétique portant le nom de «Loi fondamentale de l'Union des Républiques socialistes soviétiques». L’article 70 de la constitution Brejnev stipule que l’Union des Républiques socialistes soviétiques est un État intégral, fédéral et multinational basé sur le principe du socialisme fédéral. Ce même article précise que l’URSS est le résultat de l’auto-détermination des nations et «de l’association volontaire de Républiques socialistes soviétiques ». L’article 72 rappelle que chaque République « est libre de faire sécession de l’URSS».


Vers la sécession des Républiques socialistes soviétiques


Tant que le régime communiste soviétique arrive à contenir et à contrôler les revendications civiques et sociales de la population dans les différentes RSS, la raison d’être de l’Union n’est pas mise en cause. La politique de la direction du Parti est naturellement de maintenir la cohésion de l’ensemble alors que chaque nationalité cherche à obtenir le maximum d’avantages. Pour réaliser ses objectifs, la direction du Parti utilise les différents moyens qui sont à sa disposition : octroi de crédits, autonomie culturelle plus ou moins étendue, le tout assorti de mesures répressives contre le «nationalisme exagéré» lorsque le contrôle du pouvoir central devient trop lâche. Le facteur national joue donc en faveur d’une décentralisation du pouvoir. Toutefois, le Kremlin veille à ce que les limites fixées par le centre ne soient pas dépassées.


Jusqu’au milieu des années 1980, Moscou réprime tout mouvement qualifié de «nationalisme exagéré» qui parfois se transforme en révoltes sporadiques et guerres civiles. Lorsque l’engrenage des réformes démocratiques de Gorbatchev déstabilise le pouvoir soviétique central et ses relais dans les RSS, les mouvements nationalistes s’appuient sur les articles 70 et 72 de la Loi fondamentale pour appuyer leurs aspirations à l’autonomie, voir à l’indépendance.


Dans les pays Baltes, disputés depuis des siècles par Slaves, Germains et Suédois, et indépendants de 1920 à 1939, des révoltes ont lieu tout au long de l’ère communiste. Inspirés par les espoirs d’indépendance des États du bloc de l’Est et encouragés par la mise en place d’un gouvernement semi-démocratique en Pologne, des manifestations en faveur du retour à l’indépendance éclatent simultanément dans les trois pays baltes entre 1988 et 1989. Des revendications particulièrement violentes resurgissent également dans les républiques transcaucasiennes qui se rappellent de leur passé d’indépendance parfois pluriséculaire. En menaçant Moscou d’appliquer l’article 70 de la Loi fondamentale, les fronts populaires nationaux exigent, dans un premier temps, la fin de la prépondérance du pouvoir central et de la RSFSR sur les autres RSS.


Confronté à une situation politico-économique préoccupante, Gorbatchev s’exprime en faveur de la réforme constitutionnelle du 1er décembre 1988 qui permet des candidatures multiples et libres aux prochaines élections. La nouvelle Assemblée législative, élue le 26 mars 1989, a donc pour ambition de légitimer le pouvoir central et de conforter l’Union. Deux-tiers du Congrès des députés du peuple sont désormais des membres élus au suffrage universel, à bulletin secret et sur candidatures multiples. Or, les premières élections législatives libres montrent l’échec des candidats de Gorbatchev et l’émergence des réformateurs radicaux et des nationalistes. L’arrivée au Soviet suprême de représentants de fronts populaires nationaux, tel le front de Lituanie, le Sajudis, illustre bien la débâcle de Gorbatchev. En conséquence, les nationalistes trouvent une tribune formidable pour véhiculer leurs idées indépendantistes et nationalistes. Ainsi, en laissant s’exprimer librement les particularismes nationaux, la démocratisation du régime favorise un regain de tension génératrice de troubles, voire de guerres civiles entre les peuples que l’histoire et la région avaient de tout temps opposés, tels que les Arméniens orthodoxes et les Azéries musulmans.


Pour contrer les nationalismes et assurer la survie de l’Union soviétique d’une manière ou d’une autre, Gorbatchev tente de rallier les Républiques autour d’un nouveau projet d’Union. Cette Union serait la base pour le renouveau du fédéralisme soviétique au sein d’une URSS de plus en plus démocratique. Le nouveau traité reçoit un accueil favorable des républiques d’Asie centrale qui recherchent surtout le soutien économique de la RSFSR-et l’accès au marché de l’Union soviétique. En mars 1991, Gorbatchev engage un référendum populaire(10) sur l’avenir de l’Union soviétique qui se tient dans 9 républiques(11) dont les populations se prononcent favorablement à la signature d’un nouveau traité d’Union. L’Arménie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Géorgie et la Moldavie, gouvernées par leurs fronts populaires nationaux respectifs, ne participent pas au référendum. En avril 1991, lors du sommet de Novo-Ogarev, Gorbatchev et les dirigeants des 9 républiques décident d’accélérer l’établissement d’un nouveau traité d’Union. Gorbatchev estime que la signature du nouveau traité par un premier groupe de RSS aurait un effet d’entrainement sur les autres Républiques.

La CEI, une organisation interétatique au bilan mitigé


À la veille de la signature du traité d’Union par la Russie, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan, et avant le ralliement des six autres républiques favorables à la refonte de l’Union, un coup d’État se produit à Moscou le 19 août 1991, fomenté par un groupe de conservateurs(12) qui ne peuvent admettre le risque d’un éclatement de l’Union soviétique. Ils décident de destituer le président Gorbatchev, alors en vacances en Crimée, de le remplacer à la tête de l’État par le vice-président Ianaev, de décréter l’état d’urgence et de rétablir la censure. C’est Boris Eltsine, élu président du Soviet suprême de la RSFSR au suffrage universel le 12 juin 1991 avec une large majorité recueillant 53,7% des voix, qui fait échouer cette tentative en appelant à la grève générale, en ralliant les troupes et en prenant la tête des manifestations hostiles aux putschistes. Ceux-ci sont rapidement arrêtés.


Le pouvoir de Gorbatchev, rentré à Moscou le 27 août après l’échec du coup d’État, n’est pas rétabli pour autant. C’est désormais Eltsine qui s’impose. Déjà en juin 1991, il avait fait adopter par le soviet suprême de Russie un texte proclamant la supériorité des lois russes sur les lois soviétiques. Le 12 juin 1991, le jour de son élection à la présidence russe, Eltsine déclare la souveraineté de la Russie et démissionne du Parti communiste. Le PC est interdit dans l’armée et dans les organismes d’État. Par la suite, il provoque la suspension du Parti communiste dont Gorbatchev démissionne du poste de secrétaire général. La RSFSR, pilier de l’URSS se détache considérablement de l’autorité du Kremlin.


A la faveur de l’échec du putsch, le Congrès des députés de l’URSS octroie de larges pouvoirs aux Républiques, le «centre» ne conservant que la tutelle de la politique étrangère et militaire. Mais les Républiques sont de plus en plus réticentes à accepter une limitation de leur souveraineté. Le pouvoir central affaibli, c’est une cascade d’indépendances qui se met en route. Dès lors, la dislocation de l’URSS s’avère inévitable.


La Lituanie est la première RSS à déclarer son indépendance le 11 mars 1991. L’Estonie et la Lettonie font de même le 20 et le 21 août respectivement lors du putsch de Moscou. Dans le Caucase, la Géorgie est la première à déclarer son indépendance le 9 avril 1991, suivi de l’Azerbaïdjan le 30 août 1991 et l’Arménie le 23 septembre 1991. A tour de rôle, les entités fédérées de l’Union soviétique déclarent leur indépendance : l’Ukraine le 24 août 1991, la Biélorussie le 25 août, la Moldavie le 27 août, l’Ouzbékistan et le Kirghizistan le 31 août, le Tadjikistan le 9 septembre, le Turkménistan le 27 octobre et finalement le Kazakhstan le 16 décembre. La sécession effective de l’Ukraine (1er décembre 1991) et son refus de signer le traité d’Union signent l’arrêt de mort de l’Union soviétique.


Gorbatchev, revêtant encore la présidence de l’URSS – à laquelle il s’est fait élire le 1 mars 1990 par les députés soviétiques après avoir fait amender la Constitution en ce sens –, essaie alors vainement de faire adopter un traité d’union économique. Le 3 décembre, il lance un appel dramatique contre la désintégration de l’Union. Mais le 8 décembre, à Minsk, les présidents de Russie, de Bélarus et d’Ukraine constatent que «l’Union soviétique, en tant que sujet de droit international et géopolitique n’existe plus» et signent un accord instituant une Communauté d’États souverains ouverte à tous les États de l’ancienne URSS. Faute d’alternative et de moyens d’action, Gorbatchev est contraint de se rallier à cette formule. Le 21 décembre 1991 à Alma Ata(13), huit autres Républiques rejoignent les trois précédentes. Ainsi est confirmée la création de la Communauté des États indépendants (CEI) comprenant 11 Républiques: Arménie, Azerbaïdjan (adhésion formelle en 1993), Bélarus, Kazakhstan, Kirghizistan, Moldavie (adhésion formelle en 1994), Ouzbékistan (adhésion formelle en 1992), Russie, Tadjikistan, Turkménistan et Ukraine. L’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Géorgie refusent de signer la déclaration d’Alma-Ata. Le même jour, les onze signataires informent Gorbatchev que l’Union soviétique et sa fonction présidentielle ont cessé d’exister. Gorbatchev démissionne le 25 décembre.


Quel rôle pour la Communauté des États indépendants (CEI)


La CEI est une organisation interétatique, peu structurée, et ne regroupant pas toutes les anciennes RSS de l’Union soviétique. A l’instar des pays de l’ancien bloc de l’Est, les États baltes optent résolument pour un rapprochement avec l’Ouest. Leur adhésion à l’OTAN et à l’Union européenne en 2004 en est l’aboutissement logique.


La Charte de la CEI, établissant le fonctionnement fondamental de l’organisation, est adoptée en 1993. La même année les États adhérents signent l’accord sur l’union économique dans le but de développer la coopération économique et commerciale. En 1993, la Géorgie est contrainte de demander son adhésion à la CEI en raison de la déstabilisation de la situation politique en Abkhazie et dans la région de Tskhinvali.


Entre 1994 et 1999 la CEI, dont le siège est établi à Minsk, s'est trouvée paralysé en raison des tensions entre les États signataires. A la suite d’une initiative russe, une réforme des organes exécutifs de la CEI est entreprise dans les années 2000 afin de redynamiser la CEI. Néanmoins, la majorité de projets initiés dans le cadre de la CEI ont échoué. Le traité de sécurité collective, signé en 1992 par l'Arménie, l’Azerbaïdjan, le Bélarus, la Géorgie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l'Ouzbékistan, la Russie et le Tadjikistan, fait figure de bras armé de la Communauté des États indépendants. Son objectif officiel est notamment de lutter contre le terrorisme et les mafias. Or, l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), est souvent perçue comme un instrument servant à garantir le contrôle de la Russie sur son «glacis». Du coup, l'Azerbaïdjan et la Géorgie, signataires du traité ont quitté l'OTSC.-L'Ouzbékistan a fait de même, mais sous pressions russes, il réintègre l’organisation en début de l'année 2006.


Malgré l'échec observé de la CEI, certaines anciennes républiques soviétiques restent groupées en matière économique via la communauté économique eurasienne, établie en octobre 2000 entre le Bélarus, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan. En septembre 2003, le Bélarus, la Russie, l’Ukraine et le Kazakhstan signent l’accord sur la formation d’un espace économique commun.


Depuis sa création, plusieurs États craignant une mainmise russe dans leurs affaires intérieures par le biais de la CEI ont décidé de quitter l’organisation(14). L’Ukraine n'est plus un État membre de la CEI en raison du rejet de la Charte de la CEI du 22 janvier 1993. Conformément à la Charte de l’organisation, le Turkménistan souhaite acquérir le statut d'observateur au sein de la CEI depuis 2005. Cependant sa demande est bloquée par le conseil des chefs d'État. Officiellement, le Turkménistan est donc toujours membre effectif de la CEI. A la suite de l’intervention russe en Géorgie à propos du conflit de l’Ossétie du Sud, le parlement géorgien vote le 14 août 2008 la sortie de la Géorgie de la CEI.


La CEI face à l’héritage de l’URSS


A l’origine, la CEI est également destinée à régler les problèmes posés par la dévolution de l’héritage de l’URSS (nationalités, territoires, héritage de l’appareil étatique de l’URSS, etc.). En fait, c’est la République fédérale de Russie qui s’empare de l’héritage de l’Union soviétique: le Kremlin, le ministère des Affaires étrangères, le commandement unique des armes nucléaires stratégiques, la place de membres permanents au Conseil de sécurité de l’ONU, les réserves d’or et de diamants et les ressources pétrolières. En contrepartie, elle reconnaît l’intangibilité des frontières avec ses partenaires, ce qui est important pour les Républiques ayant de fortes minorités russes (Ukraine, Kazakhstan). Après l’effondrement de l’URSS, les frontières ne seront pas mises en causes officiellement entre les anciennes RSS. En revanche, dès les premiers signes d’implosion de l’URSS, certaines RSSA et RA manifestent une volonté d’autogestion ou d’indépendance vis-à-vis des anciennes RSS.


Libérés par l’éclatement de l’URSS, les nationalismes exacerbés par les conflits religieux fragilisent l’indépendance des États caucasiens en particulier. Selon la constitution de l’URSS, les RSS peuvent bel et bien faire sécession de l’Union. Cependant, les constitutions des RSS ne confèrent pas les mêmes droits à leurs RSSA et RA. En proclamant l’indépendance de la république du Haut-Karabakh(15) en 1991, les Arméniens de cette région, autonome à l’époque de la RSS d’Azerbaïdjan, affaiblissent considérablement la république d’Arménie. La Communauté internationale estime en effet que la République autoproclamée du Haut-Karabakh bénéficie du soutien logistique militaire de la part de l’Arménie et inflige à cette dernière des sanctions. Pourtant, l’Arménie ne reconnaît pas officiellement la république du Haut-Karabakh, mais elle refuse de condamner ses incursions en Azerbaïdjan qui provoquent la chute du pouvoir en place. Gueïdar Aliev, ancien apparatchik et nouvel homme fort en Azerbaïdjan, accepte de négocier avec les séparatistes mais sans issue. Le conflit autour du Haut-Karabakh est considéré à ce jour comme un des nombreux conflits gelés du Caucase.


Depuis l’indépendance de la Géorgie, les Abkhazes(16) refusent au nom des peuples à disposer d’eux-mêmes l’autorité du gouvernement de Tbilissi et obtiennent l’appui des Tchétchènes(17), eux-mêmes en conflit avec Moscou(18) à propos de revendications similaires, des Balkars et des Kabardes(19) qui veulent à leur tour créer une république des peuples du Caucase du Nord. Les Ossètes du Sud(20) qui, depuis 1989 contestent leur appartenance à la république de Géorgie et exigent leur indépendance pour s’unir aux Ossètes du Nord(21) dont le territoire est situé à l’intérieur des frontières de la Russie. Cette poudrière prend feu de nouveau le 8 août 2008 lorsque des troupes géorgiennes, invoquant la sauvegarde de l’intégrité territoriale de la Géorgie, lancent une opération d’envergure pour restaurer leur autorité sur le territoire de l’Ossétie du Sud, ce qui provoque l’intervention de l’armée russe au détriment des troupes géorgiennes et la sortie de la Géorgie de la CEI.


En conclusion, l’URSS donne lieu à un travail de reconstruction politique non achevé. En dépit des efforts de Gorbatchev, l’éclatement de l’URSS est inévitable et légal compte tenu du droit de sécession. De son implosion naît la CEI, organisation confédérale qui a pour but de gérer le lourd héritage de l’empire soviétique. En réalité, c’est la Fédération de Russie qui succède à l’URSS. La CEI, qui a notamment pour ambition de régler les conflits postsoviétiques à l’échelle intergouvernementale, échoue dans cette mission. Elle ne réussit pas non plus à empêcher les risques de balkanisation dans le Caucase, d’autant moins que certains interprètent la CEI comme l’extension naturelle de le Russie. Dans cette optique, la CEI s’insère dans le processus de construction étatique non abouti de l’empire tzariste et de l’Union soviétique.



(1) Les bolcheviks – les majoritaires – constituent la fraction majoritaire du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR) fondée en 1903. Dirigée par Lénine, les bolcheviks se constituent en parti indépendant à partir de 1912. Après la révolution russe de février 1917, les bolcheviks prennent le pouvoir au nom des soviets en Octobre 1917. En 1922, le parti est renommé en Parti communiste de l'Union soviétique (PCUS).

(2) Les mencheviks – les minoritaires – constituent la fraction minoritaire du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR) lors de l'éclatement de ce parti au congrès de Londres en 1903. (Interdits dans l’Empire tzariste, les communistes russes en exil tiennent leurs congrès au Royaume-Uni et en Allemagne). Lors du Congrès des Soviets le 25 octobre 1917, les délégués mencheviks quittent la salle au moment de la ratification de la révolution d'Octobre pour dénoncer un «coup d'État bolchevik». Lors de la guerre civile, les mencheviks sont définitivement écrasés par les bolcheviks

(3) Dès 1918, la RSFSR se charge notamment du recrutement pour l’Armée rouge à laquelle sont rattachées les forces armées des autres Républiques. Pour faciliter ce recrutement, une citoyenneté unique a été établie.

(4) Les partisans de la monarchie.

(5) Parmi les dirigeants communistes caucasiens, les Géorgiens s’opposent le plus férocement à l’absorption de leur pays par la RSFSR.

(6) Le Congrès des soviets se compose de représentants des soviets urbains et des représentants des soviets de gouvernement de chaque République socialiste soviétique. Cette assemblée est convoquée une fois par an et doit ratifier les décisions adoptées par les dirigeants membres du Comité exécutif central à qui, en tant qu'assemblée souveraine, elle a délégué une partie de ses pouvoirs. Néanmoins, son rôle est rapidement détourné au profit du des chefs du Parti communiste de l'Union soviétique (PCUS).

(7) Le traité et la déclaration d’union entre les quatre républiques socialistes deviendront dans le langage des historiens la «première constitution de l’URSS».

(8) Des RSSA sont formées en RSFSR et en RSSF de Transcaucasie.

(9) Le Soviet suprême est constitué de deux chambres, chacune ayant des pouvoirs législatifs égaux, avec des membres élus pour des mandats de cinq ans. Le Soviet de l'Union, élu sur la base de la population avec un député pour 300 000 habitants de la fédération et le Soviet des nationalités, supposé représenter les différentes ethnies de la fédération, avec des membres élus sur la base de 25 députés pour chaque république, 11 pour chaque république autonome, cinq pour chaque région autonome et un pour chaque oblast. Le Soviet suprême est la plus haute institution exécutive en Union soviétique et la seule pouvant promulguer des amendements constitutionnels.

(10) Le référendum porte également sur la création du poste de président de l’URSS.

(11) RSFSR, Biélorussie, Ukraine, Azerbaïdjan, Turkménistan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Kazakhstan, Kirghizistan.

(12) Ce groupe de conservateurs est composé de membres du PCUS, de l’armée et du KGB.

(13) Alma Ata est la capitale de la RSS du Kazakhstan. Rebaptisé en Almaty en 1991, elle est la capitale de la République du Kazakhstan jusqu’en 1998, année à laquelle elle perd ce statut au profit d’Astana.

(14) Depuis sa création, les postes de secrétaire général de la CEI ont été attribués exclusivement à des Russes et Biélorusses.

(15) Sous l’ère soviétique, le Haut-Karabakh a le statut de RA tout en étant intégré dans la RSS d’Azerbaïdjan.

(16) Sous l’ère soviétique, l’Abkhazie a le statut de RSSA tout en étant intégrée dans la RSS de Géorgie.

(17) Sous l’ère soviétique, la région peuplée de Tchétchènes et d’Ingouches a le statut de RSSA (RSSA des Tchétchènes-Ingouches) tout en étant intégrée dans la RSFSR.

(18) Á l’issue de deux guerres meurtrières (1994-1996 et 1999), la Fédération de Russie a su rétablir son autorité sur la Tchétchénie.

(19) Sous l’ère soviétique, la région peuplée de Kabardes et de Balkars a le statut de RSSA (RSSA de Kabardino-Balkarie) tout en étant intégrée dans la RSFSR.

(20) Sous l’ère soviétique, l’Ossétie du Sud a le statut de RA tout en étant intégrée dans la RSS de Géorgie.

(21) Sous l’ère soviétique, l’Ossétie du Nord a le statut de RSSA tout en étant intégrée dans la RSFSR.

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