L’OECE et l’UEP

 

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Organisation des Nations unies, dont la Charte fondatrice est signée à San Francisco en juin 1945, fournit diverses aides aux pays européens détruits. L'Europe est en effet confrontée à de graves pénuries alimentaires et doit maintenir des systèmes de rationnement. Mais cette action reste ponctuelle et s'avère insuffisante pour relancer efficacement l'économie des pays européens. Les échanges commerciaux intereuropéens sont en effet ralentis par le manque de devises et souffrent de l'absence d'une organisation économique internationale capable d'organiser efficacement le commerce mondial. Les États-Unis, qui ont le plus grand intérêt à favoriser ces échanges pour gonfler leurs exportations, envisagent dès lors de relever l'économie européenne via un programme structurel d'envergure. Pour les États-Unis, il s'agit en effet de protéger la prospérité américaine et d'éloigner le spectre de la surproduction nationale. Mais la volonté des États-Unis d'accorder une aide économique massive à l’Europe trouve également son origine dans des préoccupations politiques. La peur de l'expansion communiste en Europe occidentale dans un climat de Guerre froide est sans doute un facteur décisif tout aussi important que la conquête de marchés nouveaux. Les Américains proposent donc de lutter contre la misère et la faim en Europe qui, selon eux, entretiennent le communisme.

 

Dans un discours qu'il prononce le 5 juin 1947 à l'Université Harvard de Cambridge (Massachusetts), le secrétaire d'État américain, George C. Marshall, propose à tous les pays d'Europe une assistance économique et financière conditionnée par une coopération européenne plus étroite. C'est le plan Marshall ou le European Recovery Program (ERP). Seize pays s'empressent d'accepter ce plan: Autriche, Belgique, Danemark (avec les îles Féroé et le Groenland), France, Grèce, Irlande, Islande, Italie (et San Marin), Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal (avec Madère et les Açores), Royaume-Uni, Suède, Suisse (avec le Liechtenstein) et Turquie. Ils mettent immédiatement sur pied un Comité de coopération économique européenne (CCEE) qui dresse un rapport fixant les tâches prioritaires de l'économie européenne. Mais les Américains exigent que ces pays assurent eux-mêmes la gestion et la redistribution des fonds. Le CCEE prévoit alors la création d'un organisme permanent de coopération.

 

Le 16 avril 1948, les seize pays signent à Paris la convention qui y établit l'Organisation européenne de coopération économique (OECE). L'Allemagne de l'Ouest et le territoire de Trieste les rejoignent en 1949. Les colonies et les territoires extraeuropéens des pays de l'OECE y sont représentés par les métropoles et les États-Unis et le Canada, bien qu'ils ne soient pas membres de l'Organisation, participent aussi à tous ses travaux. L'OECE est donc, de facto, une organisation à vocation mondiale.

 

Dès 1948, l'OECE négocie un accord multilatéral de paiements intereuropéens suivi, en 1949, d'un code de libération des échanges. De juillet 1950 à décembre 1958, une Union européenne des paiements (UEP) rétablit la convertibilité des monnaies européennes et lève les restrictions quantitatives des échanges. L'OECE favorise également la productivité économique en Europe via l'Agence européenne de productivité qu'elle institue en 1953 pour étudier et diffuser les nouvelles avancées techniques applicables au secteur industriel. En rassemblant initialement les pays démocratiques européens dotés d'une économie de marché, l'OECE constitue une première étape importante sur la voie de l'unification européenne. Elle demeure toutefois un organe de coopération intergouvernementale qui ne parvient pas à créer une union douanière.

 

En 1960, après l'adhésion effective des États-Unis et du Canada, elle devient d'ailleurs l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui connaît par la suite de nouveaux élargissements.

 

La coopération européenne ne se limite pas seulement au champ économique mais touche également les aspects monétaires. Ainsi dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, des accords bilatéraux de paiements sont conclus entre certains pays européens afin de relancer les échanges commerciaux internationaux. Mais ces premiers accords reposent sur un contrôle des changes, ce qui induit que les paiements autorisés doivent s'effectuer selon des cours fixes qui correspondent à la valeur officielle des monnaies. De même, les échanges et les paiements doivent obligatoirement s'équilibrer dans les limites de crédit fixées par ces accords. D'où la décision prise en juillet 1950 par l’OECE de remplacer ces accords de paiements bilatéraux par un système multilatéral susceptible de dynamiser l'économie européenne.

 

Créée le 19 septembre 1950 par les dix-huit pays membres de l'OECE avec effet rétroactif au 1er juillet 1950, l'Union européenne des paiements rend, précisément, les monnaies européennes interchangeables sur la base de taux estimés conformes aux réalités économiques nationales. Des restrictions de change sont en revanche maintenues à l'égard de la zone dollar. Elle joue dès lors un rôle de clearing international permettant de compenser et d'équilibrer les comptes de chaque pays européens avec ses voisins. En pratique, chaque pays membre de l'UEP fixe une parité entre sa monnaie et l'unité de compte (fixée en grammes d'or fin sur la base de la valeur du dollar en or) ainsi qu'un taux de change unique. À la fin de chaque mois, les règlements des échanges s'effectuent en partie en or et en partie par l'octroi de crédits à l'UEP. Souscrit par les États-Unis, le capital initial de l'UEP lui permet de régler, et donc de couvrir les créanciers aussitôt que les débiteurs effectuent leurs versements. Par ce système, les banques centrales nationales mettent aussi leur monnaie à la disposition de leurs partenaires tandis que c'est la Banque des règlements internationaux (BRI) de Bâle qui assure l'exécution technique des opérations de compensation. Tous les mois, l'UEP établit un solde net, actif ou passif, de chaque pays membre vis-à-vis de l'ensemble des autres pays de l'Union. Un quota est fixé par État membre qui représente la somme maximale que peut atteindre sa balance des comptes. Des ajustements, partiellement calculés en or, sont alors pratiqués en fonction du débit et du crédit mensuel du pays considéré. Ayant fait preuve de son efficacité, le mécanisme de change de l'UEP est progressivement assoupli via l'introduction d'une procédure d'arbitrage bancaire, d'une plus grande flexibilité du régime des paiements intra-européens et de leur décentralisation au profit des marchés.

 

L'UEP assure à l'Europe d'après-guerre une stabilité complète des changes et favorise la libération des échanges commerciaux entre ses États membres. Mais victime de crises successives dues à l'opposition qu'entraîne notamment l'évolution des prix et l'interchangeabilité des monnaies européennes au niveau des banques d'émission alors qu'elle ne l'est pas au niveau des particuliers, l'Union européenne des paiements, qui a favorisé le retour à la convertibilité monétaire en Europe mais dont certains craignent qu'elle n'entre en concurrence avec le Fonds monétaire international (FMI), est définitivement dissoute le 27 décembre 1958. Elle est remplacée, le jour même, par l'Accord monétaire européen (AME), qui postule le retour collectif à la convertibilité monétaire en Europe.

 

Signé, le 5 août 1955, par les dix-sept États membres de l'UEP, l'Accord monétaire européen met en place un Fonds européen de réserve pour les pays dont la balance des paiements serait déficitaire ainsi qu'un système multilatéral de règlements et de compensation sur la base de cours de change aussi stables que possible. La BRI assure l'exécution des opérations financières résultant de l'accord. En revanche, contrairement à l'UEP, le système multilatéral de règlements et l'octroi de prêts de l'AME ne revêtent aucun caractère d'obligation ni d'automaticité.

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