La discipline par le marché

La discipline par le marché

Le traité fait des marchés des adjuvants des autorités politiques pour surveiller les États membres. La soumission des États au regard des marchés est organisée à cet effet par une série d'interdiction qui ravale les États membres au rang d'émetteur presque ordinaire: ils perdent leurs prérogatives exorbitantes de puissance publique. Ils conservent cependant leurs privilèges juridiques attachés à la qualité même d’État, dont l’inaliénabilité des biens publics, le pouvoir fiscal et l’impossibilité de faire faillite. La normalisation de son statut signifie la soumission de ses émissions obligataires aux conditions du marché et au principe de libre concurrence. La capacité de chaque État à rembourser ses dettes (ou risque de crédit) doit pouvoir être appréciée sans artifice par les investisseurs, au regard de ses seules performances économiques et budgétaires1.

Le financement par le marché

Ainsi le traité n'interdit pas aux États membres de s'endetter. L'endettement est indispensable pour couvrir les décalages entre le recouvrement des recettes concentré sur quelques périodes et l’exécution des dépenses quotidiennes. Le traité interdit seulement les déficits publics excessifs et recommande que les États appliquent les principes d'une gestion saine de leurs finances publiques. L'existence d'un déficit correspond à un solde négatif entre les rentrées budgétaires et les dépenses publiques. Le financement du budget de l’État se réalise alors principalement par le recours au marché: l’État émet des instruments financiers négociables auprès d'investisseurs (marché primaire). Juridiquement, ces instruments constituent des obligations et représentent des titres de dette pour l'émetteur et des titres de créance pour le détenteur. Leur détention donne lieu au paiement d'un taux d'intérêt annuel. Le remboursement du principal intervient à échéance. Une fois adjugés par l’État, ces titres peuvent être revendus (marché secondaire) ou servir dans des opérations de politique monétaire. Les échanges des titres de dette intègre alors, en plus du taux d'intérêt, une prime de risque correspondant à l'estimation par les acheteur du risque de non remboursement (ou risque de défaut) du principal par l'émetteur. Le taux d'intérêt et l'estimation du risque de défaut permettent le calcul du taux actuariel, à savoir le taux de rentabilité annualisé qu'un investisseur peut espérer en achetant le titre au cours actuel et en le conservant jusqu'à l'échéance. L'écart entre le taux actuariel des titres des États jugés les plus sûrs (à savoir le titre à 10 ans émis par l'Allemagne, le Bund) et les autres forme l'écart de crédit ou spread.

L'estimation du risque intègre une variété de paramètres: les performances macroéconomiques de l'émetteur, le niveau élevé de son endettement, le niveau d'inflation, la sous-performance du système de collecte des impôts, l'instabilité politique,... Cette estimation est également rendue par les agences de notation à travers l'attribution d'une note, AAA étant celle la plus élevée. Toute augmentation du spread correspond donc à un sentiment de dégradation de la qualité de la dette émise. Elle est un signal envoyé à l’État pour prendre les mesures correctives, sous peine de devoir fixer des taux d'intérêt plus élevés lors de ses nouvelles émissions de titres pour attirer les investisseurs ou de ne plus trouver d'investisseurs. Ce «signal» alerte aussi les autres États membres de la zone euro: le niveau des taux d'intérêt des obligations à 10 ans des États sert au calcul du critère de convergence des taux d'intérêt à long terme retenu dans la procédure d'adhésion à la zone euro. Un écart supérieur de 2 points à la moyenne des trois meilleurs taux mesurés dans l'UE ferme la porte de la zone euro.



La normalisation du statut d'émetteur de l’État

La soumission des États membres aux principes d'une économie de marché où la concurrence est libre repose sur trois interdictions. L'article 123 du traité FUE interdit à la Banque centrale européenne (BCE) et aux banques centrales nationales des États membres d'accorder à l’État et aux autres administrations publiques des découverts ou tout autre type de crédit. Cela signifie que le compte que l’État possède auprès de sa banque centrale doit être à l'équilibre ou créditeur tous les soirs: les moyens financiers pour permettre à l’État de faire face à ses engagements sont trouvés auprès du marché. Pour éviter que l'appel au marché et le signal qu'il donne sur la qualité de la dette soient faussés, les États membres et leurs démembrement ne peuvent pas se ménager un accès privilégié aux institutions financières, hors le cas des mesures justifiées pour des raisons d’ordre prudentiel2. De façon complémentaire, ni la BCE, ni les banques centrales nationales3, ni aucun autre État membre ou l'UE4 ne peut acheter des titres de dette sur le marché primaire. L'interdiction de financement monétaire qui concerne les banques centrales est renforcée par leur statut d'indépendance à l'égard des autorités politiques. Dans le cas des rapports entre États, la clause de non renflouement (ou de no bail out) signifie également que ni l'UE ni un État ne peut se proposer pour prendre à sa charge la dette d’un autre État comme un État ne peut demander à ce qu’un autre État ou l’UE se porte en garant.

1Allemand, Frédéric, La faisabilité juridique des projets d'euro-obligations, RTDE, juillet-septembre 2012, vol. 48, n°3, p. 554.

2Article 124 du traité FUE.

3Article 123 du traité FUE.

4Article 125 du traité FUE.

Consult in PDF format