Le régime d'indépendance

Le régime d'indépendance du SEBC et de la BCE

Fixer au SEBC et à ses composantes un objectif de maintien de la stabilité des prix n’a d’intérêt que si l’institution dispose des garanties juridiques et des moyens nécessaires à la bonne exécution de sa mission dans la durée. Dans l’UEM, il est jugé que l’attribution d’un statut marqué par une forte indépendance du SEBC à l’égard des autorités politiques constitue la garantie la plus efficace.

Les raisons de l'indépendance

Plusieurs facteurs ont exercé une forte influence lors de la rédaction des dispositions statutaires du SEBC.

D’une part, les autorités allemandes – marquées par les conséquences de l’hyperinflation des années 1920 et les bonnes performances économiques de l’Allemagne dans les années 1950 –, ont fait de la reprise du modèle de la Bundesbank, indépendante et chargée de veiller à la stabilité des prix, une condition de leur participation à l’UEM.

D’autre part, à la fin des années 1970, des économistes mettent en lumière l’existence d’un «biais inflationniste» lorsque la politique monétaire est laissée à la discrétion des pouvoirs publics1. Tout en affichant un objectif de stabilité des prix, ceux-ci peuvent être tentés, pour des raisons électorales, de mener une politique monétaire accommodante, pour créer des emplois à court terme. Cependant, cette possibilité serait prise en compte par les agents économiques et intégrée dans le cycle de négociation salariale et de fixation des prix. Leurs anticipations poussent ainsi les salaires et les prix à la hausse, provoquant une inflation supérieure à celle souhaitée par la banque centrale. L’élimination de ce biais passe par conséquent par un isolement des autorités monétaires des aléas de la conjoncture politique (et des calendriers électoraux).

La fin des années 1980 voit la confirmation empirique de ces travaux au sein des pays de l’OCDE: là où la banque centrale est indépendante, l’inflation est plus faible. L’exemple du changement de statut de la banque centrale de Nouvelle Zélande en 1989 et les résultats obtenus par cette institution en matière d’inflation2 semblent aussi avoir influencé les rédacteurs du traité de Maastricht.

Les caractéristiques de l'indépendance

L’indépendance du SEBC bénéficie d’une série de garanties, à commencer par la définition dans le traité lui-même du principe d’indépendance et de ses principales caractéristiques (article 130 du traité FUE). Les statuts du SEBC et de la BCE sont reportés dans un protocole annexé au traité, mais ayant la même valeur juridique que celui-ci. Le régime d'indépendance couvre les différentes composantes du SEBC, à savoir la BCE et les banques centrales nationales, lorsqu'elles exercent des pouvoirs et accomplissent des missions et des devoirs qui leur ont été conférés par les traités. Pour l'exercice de certaines missions nationales sans rapport avec la politique monétaire, les banques centrales ne bénéficient plus du régime d'indépendance communautaire3.

Sur le fond, l’indépendance, telle qu’organisée par le droit communautaire, porte sur quatre domaines:

  • Domaine institutionnel. Il est interdit aux banques centrales nationales et aux membres de leurs organes de décision de solliciter ou d’accepter des instructions des institutions ou organes communautaires, des gouvernements des États membres ou de tout autre organisme. À l’inverse, les gouvernements des États membres ne doivent pas chercher à influencer les membres des organes de décision de la BCE ni des organes de décision des banques centrales nationales susceptibles d’être impliqués dans la conduite des missions relatives aux SEBC.

  • Domaine personnel. Le gouverneur, ainsi que tout autre membre d’un organe de décision d’une banque centrale nationale, doivent disposer d’un mandat d’une durée au moins égale à cinq ans, ne peuvent être démis de leurs fonctions hors certains cas spécifiques et bénéficient d’un droit de recours devant un tribunal indépendant dans le cas de leur révocation. Ils ne peuvent exercer une activité entrant en conflit d’intérêt avec les tâches exécutées dans le cadre du SEBC.

  • Domaine financier. Les banques centrales du SEBC doivent disposer d’un capital suffisant et de ressources propres. Cela vise notamment les conditions de détermination du budget de la banque centrale nationale, les modalités de répartition des bénéfices et de modification du capital de la banque centrale nationale.

  • Domaine opérationnel enfin. Il s’agit en premier chef de l’obligation pour chaque banque centrale nationale d’avoir comme objectif principal le maintien de la stabilité des prix. Cela vise ensuite l’existence des moyens et instruments nécessaires à l’exécution de ses tâches dans le cadre du SEBC.

D’autres éléments viennent compléter ce statut. Le financement de la dette publique par création monétaire est rendu impossible par les articles 123 et 124 du traité FUE . Les achats de titres de dette souverains par la BCE sur le marché secondaire ne sont pas interdits, dans la mesure où ces actifs financiers sont des éléments essentiels du marché obligataire et sont utilisés dans le cadre des opérations de politique monétaire. En revanche, ces achats doivent a priori rester limités, sous peine de constituer un contournement de l'interdiction de financer la dette des États. Lancé par la BCE en mai 2010 pour faire face aux tensions sur les marchés financiers, le programme Securities Market Programme permet à la banque centrale d'intervenir sur les marchés obligataires publics et privés de la zone euro. En septembre 2012, le programme d'opérations monétaires sur titres (Outright monetary transactions) lui a succédé. L'accumulation, par la BCE, de plus de 210 milliards de titres souverains des pays de la zone euro, est interprétée par certains au sein de la BCE et en Allemagne comme une remise en cause de l'interdiction de financement monétaire4.

Indépendance ne signifie pas ignorance de l’environnement externe. La BCE reste étroitement au contact avec les autres institutions exerçant des responsabilités dans la définition et la conduite des politiques économiques. Cela se constate au niveau du schéma institutionnel du SEBC comme à celui des relations institutionnelles nouées par la BCE avec les autres institutions communautaires (Conseil, Commission, Parlement européen).

1Kydland, F. E., et Prescott, E., Rules rather than Discretion : the Inconsistency of Optimal Plans, Journal of Political Economy, juin 1977, 1035(3), p. 473-492.

2Le taux d’inflation qui s’était maintenu, en moyenne, au-dessus de 10 % pendant les années 1970 et 1980, est tombé à 1 % en 1991 et à 1,3 % en 1992 (Fischer, A., et Orr, A., Crédibilité de la politique monétaire et incertitude concernant les prix: l’expérience néo-zélandaise en matière d’objectifs d’inflation, Revue économique de l’OCDE, printemps 1994, n°22, p. 169-193).

3Ces fonctions sont exercées sous leur propre responsabilité et à leurs propres risques, n'étant pas considérées comme des fonctions relevant du SEBC, précise l'article 14, paragraphe 4, des statuts du SEBC.

4Jens Weidmann, le président de la Bundesbank et membre du conseil des gouverneurs de la BCE, a voté contre ce programme lors de son adoption par la BCE. En 2013, plusieurs professeurs de droit et d'économie allemands ont saisi la cour constitutionnelle allemande pour faire reconnaître que ces programmes constituent une violation grave des traités communautaires. À la date de rédaction de ce dossier (15 octobre 2013), la Cour n'avait pas encore rendu son jugement.

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