La monnaie de l'Union européenne



Comme on le sait, la monnaie a toujours été plus qu'un puissant instrument de communication permettant de transmettre des messages à une zone de réception pratiquement illimitée. En effet, la monnaie communique et son message est fédérateur, car il est le plus petit dénominateur commun du groupe qui l'utilise. C'est pourquoi la monnaie est un instrument identitaire important et d'une grande efficacité. Utilisée de manière ininterrompue depuis 2 400 ans, elle est devenue si habituelle que l'on n'a quasiment plus conscience de son rôle. Des monnaies les plus anciennes aux billets de banque contemporains, cela explique la présence de l'effigie du souverain ou de symboles républicains comme signe d'identité politique ou d'appartenance. Des signes figuratifs dont l'euro ne manque pas, comme on le verra. La monnaie est également un puissant symbole de lien social. C'est un vecteur de confiance, de solidarité, d'attente de garanties. Toute monnaie est le gage de la confiance des citoyens dans le rôle de l'État, qui est le garant de la cohésion nationale, de la protection des citoyens, ainsi que de l'amélioration de leurs conditions d'existence.



Au début de 2002, l'euro est devenu la monnaie d'une union d'États et de peuples, assumant depuis, sans conteste, une fonction institutionnelle.



L'iconographie qui figure au verso des billets comprend des arcades, des arches, des piliers et des colonnes, des portes et des fenêtres. La porte et le pont. Ces deux images rappellent la célèbre métaphore simmelienne. L'argent est à la fois porte et pont, nous dit Simmel. C'est un pont dans la mesure où il favorise l'interdépendance des échanges; c'est une porte, parce qu'il est totalement impersonnel et abstrait. Toute institution est simultanément porte et pont, tout ce qui est créé par l'homme, qui est un être social, tend à se cristalliser, à devenir institution. L'euro est fait pour durer: c'est donc une institution. C'est peut-être l'institution la plus proche des citoyens, dans la mesure où elle se trouve dans nos poches et dans nos pensées. Il est porte et pont. C'est une porte, parce qu'il s'ouvre sur un monde inconnu, sur un avenir incertain donc angoissant. C'est également un pont, dans la mesure où, tout en respectant pleinement la vocation traditionnelle de la circulation monétaire, il unit les Européens, favorise la prise de conscience de leur appartenance à un même espace monétaire et économique et constitue pour l'Europe un point de référence clair dans la recherche de son identité. Considéré ainsi, pour les citoyens européens l'euro agit comme «élément de réconciliation identitaire» soit en renforçant leur sentiment d'appartenance, soit en servant de limite entre les peuples européens et le reste du monde.



Le choix thématique des monuments et des divers styles d'architecture exalte également la capacité du travail humain à créer de grandes œuvres et de les perfectionner au fil du temps, et donne une image visuelle de la stabilité du signe monétaire. Cette image, qui cherche à éviter toute ressemblance spécifique avec des œuvres existantes, vise à représenter «la potentialité même du dessin». On en a déduit, à juste titre, que le message que ces billets de banque transmettent aux citoyens européens est l'exhortation à concevoir et à réaliser pourquoi tout objet, par le biais de l'imagination technique et créatrice, peut être conçu à nouveau et recréé: ainsi, en suivant l'interprétation sémiotique, il s'avèrerait que l'évolution du grand dessein de l'Union européenne est fortement liée à la capacité de dessiner et redessiner les choses et les événements.



En outre, il a été souligné très justement que l'iconographie des billets de banque marque un retour indéniable aux motifs allégoriques prédominants dans les monnaies du XIXe siècle, mais interprétés différemment. Dans cette optique, la représentation d'œuvres monumentales nées du travail de l'homme exprime la volonté de construire un ensemble solide et durable de pierre et d'acier, indépendant de contingences d'ordre économique ou politique, à l'image de l'éternité liée aux motifs de la culture classique. De plus, l'absence de personnages et de références territoriales respecte les théories monétaristes dont les règles sont fondées sur l'universalité et l'intemporalité.



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