Contexte monétaire international de l'après-guerre

Contexte monétaire international de l’après-guerre


Alors que la Seconde Guerre mondiale sévit encore en Europe, les Nations-Unies organisent à Bretton Woods (New Hampshire), du 1er au 22 juillet 1944, une grande conférence dont le but est de créer un système monétaire capable de fournir un cadre solide à la reconstruction et à l'expansion économique du monde libre1.


Les principes instaurés par les Accords de Bretton Woods2 visent à rétablir la liberté des paiements internationaux pour relancer le commerce international et à garantir la stabilité des taux de change. En Europe, les principales devises ne sont pas librement convertibles entre elles (et ce jusqu’en 1958), ce qui pose d’énormes difficultés au multilatéralisme commercial. Pour la réalisation de ce second objectif est introduit le Gold Exchange Standard dans lequel le dollar américain joue le rôle de moyen de réserve et de paiement international3 et qui suppose des parités fixes4, mais ajustables5, entre les monnaies des pays participants. Une institution internationale ayant pour mission de promouvoir la coopération monétaire, de garantir la stabilité financière et de faciliter les échanges internationaux voit le jour. C’est le Fonds monétaire international (FMI). Sa vocation est de prêter à ces États-membres des devises pour combler les déficits temporaires de leurs balances de paiement. Le FMI intervient grâce aux réserves constituées sur la base des quotas payés par les pays membres. Une deuxième grande institution est mise sur pied, la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD)6, dont le but est de contribuer à la reconstruction et au développement des pays ravagés par la guerre7.


Les États-Unis jouent un rôle déterminant dans la mise en place de cet ordre nouveau, dont les débuts sont difficiles. Dans l’immédiat après-guerre, l’Europe est au bord de l’effondrement économique et les échanges commerciaux sont profondément asymétriques. Afin de préserver leurs rares réserves en or, les pays européens élèvent très vite des barrières commerciales diminuant ainsi les échanges intracontinentaux. Les exportations américaines en direction de l’Europe entraînent un excédent de la balance de paiements, tout comme des rentrées massives d’or et de devises aux États-Unis et génèrent ainsi une pénurie de moyens de paiement internationaux8. La solution réside dans une sortie des dollars américains hors des frontières états-uniennes et les Américains envisagent dès lors de relever l'économie européenne via un programme structurel d'envergure9. C’est ainsi que le plan Marshall10 est mis en œuvre11. De ce programme12 naît l’Organisation européenne de coopération économique (OECE)13 vouée à encourager le multilatéralisme des échanges et à favoriser une intégration plus poussée des économies européennes14. L’OECE comprend aussi des objectifs d’ordre monétaire. Conformément aux articles 6 et 7 de ses statuts, chaque État participant est invité à veiller à la stabilité de sa monnaie et des relations de changes. L’OECE demeure toutefois un organe de coopération intergouvernementale qui ne parvient pas à créer une union douanière. Les Français, les Italiens et les Américains, favorables à cette option se heurtent au refus formel de la Grande-Bretagne, plus soucieuse de préserver ses relations bilatérale privilégiées avec ses colonies d’une part, et avec les États-Unis, de l’autre. Les pays européens sont stimulés à lever progressivement les restrictions quantitatives aux échanges et à faire des achats entre eux, de nature à diminuer leurs importations en dollars. Quelques améliorations apparaissent en matière de barrières douanières, mais en cas de difficultés économiques, les pays membres ont toujours la possibilité de revenir en arrière: une clause de réserve contenue dans ses statuts permet aux membres qui sont opposés à une mesure de l’OECE de ne pas s’y soumettre. Dans un premiers temps, ils concluent des accords de paiements et de compensations intra-européens15, pour aboutir ensuite à l’Union européenne des paiements (UEP)16. Cette nouvelle institution leur fournit l’instrument financier susceptible de favoriser la libération de leurs échanges mutuels. Il s’agit de la création d’un cadre multilatéral de clearing monétaire, obligatoire et automatique entre États membres, à la place du réseau d’accords bilatéraux qu’ils avaient conclus auparavant17. Compte tenu du fait que cet accord permet la transférabilité intégrale des monnaies participant au système, d’aucuns considèrent que l'UEP revêt les caractéristiques d’une «Union monétaire régionale» 18 et également d’une amorce d’une coopération monétaire européenne organisée, posant la question de l’identité monétaire ouest-européenne19.


L'UEP20 considérée d’emblée comme solution temporaire contribue à la stabilité complète des changes dans l’Europe de l’après-guerre et favorise la libération des échanges commerciaux entre ses États membres. Mais victime de crises successives dues à l'opposition qu'entraîne notamment l'évolution des prix et l'interchangeabilité des monnaies européennes au niveau des banques d'émission alors qu'elle ne l'est pas au niveau des particuliers, l'Union européenne des paiements est dissoute le 27 décembre 1958. Le même jour, elle est remplacée par l'Accord monétaire européen (AME)21 qui postule le retour collectif à la convertibilité monétaire en Europe et dont le pendant est une meilleure insertion aux circuits d'échanges économiques internationaux.


Si le système de Bretton Woods et les dispositifs fondés sur ce socle – l’UEP et ensuite l’AME- permettent une stabilisation des relations monétaires entre les pays participants, ses assises demeurent fragiles: les États-Unis ne sont tenus par le respect d’aucune obligation en matière de politiques économique et monétaire, alors même que leur capacité à garantir la parité-or de leur monnaie constitue le cœur des accords de Bretton Woods. Centré sur le dollar américain, ce système promeut la monnaie nationale américaine, dotée d’un grand capital de confiance, comme monnaie internationale. La confiance dans le dollar repose sur trois piliers: la puissance économique des États-Unis, la convertibilité du dollar en or et l’important stock d’or dont les États-Unis disposent. À la suite de l’aide économique américaine ayant permis à l’Europe de reconstituer son potentiel productif et après de nombreuses dévaluations par rapport au dollar qui ont conduit à l’amélioration de la compétitivité des exportateurs européens, la balance des paiements américaine subit un déséquilibre quasi-permanent22. Pour financer le déficit de leurs paiements extérieurs, les États-Unis émettent des dettes en dollars et alimentent, par ce biais, l’accroissement des réserves internationales. Les banques centrales du monde entier, y compris européennes, accumulent de plus en plus de dollars dans leurs réserves23 sans en demander, toutefois, la conversion en or et ce en raison de la confiance qu’elles ont dans la devise américaine. En fait, entre les États-Unis et certains pays européens intervient une sorte d'accord tacite en vertu duquel ces derniers s’engageaient à ne plus demander la conversion complète en or des excédents en dollars qu’ils accumulaient ou avaient accumulés. L’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, la Grande-Bretagne, tout comme le Japon s’y plient. Ce n’est pas le cas de la France qui, en 1964, convertit en or les dollars excédentaires par rapport à ses propres dettes non échues à l’égard des États-Unis. L’attitude française déclenche des réactions sévères au sein des milieux gouvernementaux américains24.


Tout se passe donc comme si, en accumulant des réserves en dollars, les banques centrales du reste du monde prêtaient aux États-Unis une partie des sommes nécessaires pour que les entreprises américaines puissent acheter des entreprises dans leurs pays. Ce «privilège exorbitant» est dénoncé par le général de Gaulle au milieu des années 1960; il réclame alors, en vain, un retour aux principes de l’étalon-or. Assez vite toutefois, cette source de liquidités internationales sera complétée, puis supplantée, par une autre qui deviendra une pièce centrale du système financier international: le marché des eurodollars.


À la fin des années 1950, le système connaît cependant une détérioration progressive et, sur les marchés, le dollar est décoté par rapport à l’or, dont le prix croit sensiblement.


La création d’une surabondance de dollars qui en découle engendre un effritement de la confiance dans la monnaie américaine. Les avoirs étrangers en dollars allaient rapidement dépasser le stock d’or américain, situation incompatible avec l’obligation, pour les États-Unis, de convertir, à la demande des banques centrales, les dollars en or25. La crise de confiance dans le dollar crée un climat de spéculation. À l’aube des années 1960, Robert Triffin prévoit une désintégration progressive du système monétaire international26 et prône la nécessité de créer une union monétaire européenne dotée d’une monnaie commune.


La question monétaire se pose très tôt dans le débat sur l’intégration monétaire européenne après la Seconde Guerre mondiale27. En 1947, les fédéralistes européens réunis en congrès à Montreux présentent une motion de politique économique préconisant que la Fédération européenne ait le droit de «réglementer les conditions monétaires», sans préjudice des compétences réservées aux organismes universels. Deux ans plus tard, le Congrès de l’Union pan-européenne appelle à «doter l’Europe d’un instrument monétaire sain, géré indépendamment de toute politique économique étroitement nationale». Dans les années 1950-1960, des groupes de réflexion tels que celui de Bellagio28ou celui de Bilderberg29 se pencheront sur l’intégration monétaire européenne. La création d’une banque centrale européenne est envisagée30. Le Comité d’Action pour les États-Unis d’Europe que Jean Monnet fonde en 1955 fait de l’intégration monétaire européenne un objectif de choix31.


Sous l’impulsion des idées volontaristes et des actions de certaines personnalités occidentales   parmi lesquelles des inspirateurs (Jean Monnet, Altiero Spinelli) et des dirigeants (Robert Schuman, Konrad Adenauer, Paul-Henri Spaak, Alcide de Gasperi)   et suite aux initiatives de leurs gouvernements, l’intégration européenne est enclenchée. Ce processus s’amorce durant les débuts des Trente Glorieuses (1945-1975)32, période où en Europe, mais aussi aux États-Unis et au Japon l’environnement économique évolue de manière exceptionnelle. La croissance durable, le quasi-plein emploi, la stabilité monétaire, vont de pair avec l’amélioration des conditions de vie et la modernisation d’ensemble de ces sociétés33. Un quart de siècle plus tard, les deux chocs pétroliers et l’effondrement du système monétaire international mettent un terme à cette ère de la prospérité. Après l’âge d’or c’est l’époque des crises (1975-1984) et de l’eurosclérose.


D’inspiration plus politique qu'économique, l’étape initiale de l’intégration européenne prend la forme de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA)34 suivie, sept ans plus tard par la Communauté économique européenne (CEE) et la Communauté européenne de l'énergie atomique (EURATOM) établies par les traités de Rome du 25 mars 195735. Reposant sur le principe de la libre circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux ces traités ont pour ambition de mettre en place un marché intérieur entre les États membres (plus connu sous l’expression «marché commun»), d'augmenter, par conséquence, les échanges intra-zones au sein d’une union douanière. L'activité commerciale qui découle de la suppression des entraves aux échanges met en lumière la nécessité d'aller au-delà de la seule intégration économique et d'engager les pays signataires sur la voie de la coopération monétaire36.Le Marché commun ne peut être sécurisé que par un régime interne de changes stables37, car, dans ce cadre «il est possible et nécessaire […] d'assurer simultanément l'équilibre externe et l'équilibre interne des économies sous un régime de taux de changes étroitement liés les uns aux autres»38. L’Europe monétaire est lancée.

1 La conférence réunit 730 délégués représentant l’ensemble des 44 nations alliées, à l’exception des pays communistes. Un observateur soviétique est pourtant présent. Les travaux et documents de la Conférence de Bretton Woods ont été publiés sous le titre Proceedings and Documents of the United Nations Monetary and Financial Conference, Bretton Woods, New Hampshire, July 1 to 22, 1944. Washington: U.S. Government Printing Office, 1948, 2 vol., Department of State Publication 2866, International Organization and Conference Series I, 3.

2 Voir BORDO, Michael; EICHENGREEN, Barry. A Retrospective on the Bretton Woods System: Lessons for International Monetary Reform (National Bureau of Economic Research). Chicago & London: The University of Chicago Press, 1984.

3 Le Gold Exchange Standard (l’étalon de change-or) prévoit que chaque monnaie puisse être définie par rapport à l’or et, en même temps, en dollar américain-or (conformément à la valeur en or que la monnaie des États-Unis avait au 1er juillet 1944). C’est ainsi que le dollar américain devient monnaie de référence compte tenu qu’à la fin de la guerre seuls les États-Unis disposaient des réserves en or suffisantes (approximativement 2/3 du stock mondial) et donc seul le dollar américain est en mesure d'assumer cette position de convertibilité-or hors de ses frontières. La définition officielle du dollar par rapport à l’or est à l’époque de 35 dollars l’once. Ce système équivaut à un étalon-dollar.

4 La nécessité des taux de change fixes (ou quasi fixes) est motivée par l'élément d'incertitude et d'instabilité introduit dans le commerce international par le régime des taux de change flexibles.

5 Il s’agit de l’instauration des marges de fluctuation de 1 % autour des parités bilatérales, avec obligation, pour les banques centrales des pays membres, de défendre les parités entre ces limites préétablies. Un État ne peut modifier la parité de sa monnaie nationale (en la dévaluant ou en la réévaluant) que pour corriger un déséquilibre de sa balance des paiements.

6 Les accords portant sur la création du FMI et de la BIRD sont connus sous le nom des «jumeaux de Bretton Woods». Le FMI, dont les statuts sont signés par 35 États à Washington le 27 décembre 1945 et entrent en vigueur le même jour, commence ses opérations le 1er mars 1947. Lors de la conférence de Bretton Woods, émerge aussi l’idée d’un organisme chargé du commerce international, mais en l'absence d'accord elle ne se concrétise qu'en 1995 avec la création de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) suite au cycles de négociations de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). Voir KIRSCHNER, Orin (éd.). The Bretton Woods-GATT System. Retrospect and Prospect after Fifty Years. New York: M.E.Sharpe, 1994.

7 Les deux grands protagonistes de la conférence de Bretton Woods sont John Maynard Keynes, qui dirige la délégation britannique et Harry Dexter White, assistant au secrétaire au Trésor des États-Unis. Ils ont préparé un plan d'ensemble. Les idées de Keynes, ébauchées dès 1941, envisagent un système monétaire mondial fondé sur le «bancor», une unité de réserve non nationale. Les Américains mettent en avant le rôle de pivot du dollar américain et proposent la mise en place d’un fonds de stabilisation (dont les réserves sont constituées par des dépôts des États membres), ainsi que d’une banque de reconstruction pour l'après-guerre. Finalement, c'est la proposition de White qui l’emporte. Le système monétaire mondial s’organise ainsi autour du dollar américain, mais avec un rattachement nominal à l'or. Notons que le système de Bretton Woods est très favorable aux États-Unis qui sont exonérés de toute contrainte.

8 L’économie mondiale est en situation de dollar gap, la demande de dollars excédant considérablement l’offre.

9 Les États-Unis recherchent à protéger la prospérité américaine et à éloigner le spectre de la surproduction nationale. Portant sur des aspects économique et monétaire, ce programme envisage, d’une part, un apport en dollars pour mettre un terme au «dollar gap» et, d‘autre part la relance des échanges intra-européens allant de pair avec l’aide à la reconstruction (des prêts gratuits pour la rénovation des moyens de production). Mais a volonté des Américains d'accorder une aide économique massive à l’Europe est également motivée par des préoccupations politiques. La peur de l'expansion communiste en Europe occidentale dans un climat de Guerre froide est sans doute un facteur décisif tout aussi important que la conquête de marchés nouveaux.

10 The European Recovery Program (Programme de rétablissement européen) prend forme suite à l'initiative du général George Marshall, secrétaire d'État des États-Unis, qui, lors d'un discours prononcé le 5 juin 1947 à l'université Harvard exprime la volonté du gouvernement américain de contribuer au rétablissement économique et social de l'Europe. Le plan d’aide à l’Europe table sur 35 milliards de dollars, dont 11,5 milliards d’aide militaire, 17 milliards de dons et 6,5 milliards prêts à long terme. Le 3 avril 1948 le président Harry Truman signe le Foreign Assistance Act (le plan Marshall).

Voir HOGAN, Michael. The Marshall Plan. America, Britain and the reconstruction of Western Europe. 1947-1952. Cambridge: University Press, 1987.

11 Le mécanisme du plan Marshall consistait pour les États-Unis à fournir un crédit à un État européen. Ce crédit servait à payer des importations en provenance des États-Unis. L'État européen bénéficiaire encaissait, en monnaie locale, le produit des ventes de ces importations sur son marché national, ainsi que les droits de douanes afférents. Parallèlement cet État devait octroyer à des agents économiques nationaux (entreprises ou administrations) des crédits destinés à des investissements d'un montant deux fois supérieur au crédit qu'il avait lui-même reçu. L'État bénéficiaire devait en outre faire la preuve qu'il autofinançait sa part, sans recourir à la création monétaire. Par ce montage, les États-Unis encourageaient un effort significatif d'équipement et d'épargne en Europe.

12 Les seize pays ayant accepté le plan Marshall sont l’Autriche, la Belgique, le Danemark (avec les îles Féroé et le Groenland), la France, la Grèce, l’Irlande, l’Islande, l’Italie (et San Marin), le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal (avec Madère et les Açores), le Royaume-Uni, la Suède, la Suisse (avec le Liechtenstein) et la Turquie. Y est également associée la zone anglo-américaine du Territoire libre de Trieste (formé de la ville de Trieste, d'une partie de l'Istrie et d'une bande côtière qui le reliait à l'Italie. Créé après la Seconde Guerre mondiale, ce territoire fut finalement divisé en 1954 entre l'Italie et la République fédérative populaire de Yougoslavie). En 1949, les bénéficiaires du plan Marshall sont rejoints par la République fédérale allemande (RFA). L'Union soviétique rejette définitivement l'offre Marshall et dissuade ses pays satellites et la Finlande voisine de solliciter l'aide américaine. Ce refus approfondit la coupure entre l'Est et l'Ouest de l'Europe. En réaction au programme Marshall, l'URSS institue, en janvier 1949, une coopération économique avec les pays du bloc soviétique dans le cadre du Conseil d'assistance économique mutuelle (CAEM ou Comecon).

13 Sur L'OECE, voir BOSSUAT, Gérard. L'Europe occidentale à l'heure américaine 1945-1952. Bruxelles: Éditions Complexes, 1992. Également ADAM, H.T., L'Organisation européenne de coopération économique In Relations internationales, No. 29 à 32, Société d'études historiques des relations internationales contemporaines (éd.). Paris: 1982.

Le 16 avril 1948, les seize pays qui acceptent le plan Marshall signent à Paris la Convention qui y établit l'Organisation européenne de coopération économique (OECE). L'Allemagne de l'Ouest et le territoire de Trieste les rejoignent en 1949. Les colonies et les territoires extra-européens des pays de l'OECE y sont représentés par les métropoles et les États-Unis et le Canada, bien qu'ils ne soient pas membres de l'Organisation, participent aussi à tous ses travaux. L'OECE est donc, de facto, une organisation à vocation mondiale. En 1960, après l'adhésion effective des États-Unis et du Canada, elle devient d'ailleurs l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui connaît par la suite de nouveaux élargissements. L'OECE favorise également la productivité économique en Europe via l'Agence européenne de productivité qu'elle institue en 1953 pour étudier et diffuser les nouvelles avancées techniques applicables au secteur industriel.

14 Voir OPPERMANN, Jord. L'Europe monétaire: de l'Union européenne des paiements à l'euro. In Notes de recherche, Téléglobe, numéro 8, volume 2, 2008. En accord avec le schéma de répartition de l’aide américaine, l'OECE a comme principal objectif l’augmentation et l’intensification des échanges commerciaux, notamment par le truchement de la libération des mouvements de capitaux, ainsi que par la coordination des politiques économiques et la suppression des représailles.

15 Dès 1948, l'OECE négocie un accord multilatéral de paiements intereuropéens suivi, en 1949, d'un code de libération des échanges. À caractère provisoire de portée limitée ces accords comptant parmi les premiers fruits de la coopération économique européenne,

16 Créée le 19 septembre 1950 par les dix-huit pays membres de l'OECE avec effet rétroactif au 1er juillet 1950, l'Union européenne des paiements (UEP) rend, précisément, les monnaies européennes interchangeables sur la base de taux estimés conformes aux réalités économiques nationales maintenues à l'égard de la zone dollar. Elle joue dès lors un rôle de clearing international permettant de compenser et d'équilibrer les comptes de chaque pays européens avec ses voisins. En pratique, chaque pays membre de l'UEP fixe une parité entre sa monnaie et l'unité de compte (fixée en grammes d'or fin sur la base de la valeur du dollar en or) ainsi qu'un taux de change unique. À la fin de chaque mois, les règlements des échanges s'effectuent en partie en or et en partie par l'octroi de crédits à l'UEP. Souscrit par les États-Unis, le capital initial de l'UEP lui permet de régler, et donc de couvrir, les créanciers aussitôt que les débiteurs effectuent leurs versements. Par ce système, les banques centrales nationales mettent aussi leur monnaie «à la disposition» de leurs partenaires tandis que c'est la Banque des règlements internationaux (BRI) de Bâle qui assure l'exécution technique des opérations de compensation. Tous les mois, l'UEP établit un solde net, actif ou passif, de chaque pays membre vis-à-vis de l'ensemble des autres pays de l'Union. Un quota est fixé par État membre qui représente la somme maximale que peut atteindre sa balance des comptes. Des ajustements, partiellement calculés en or, sont alors pratiqués en fonction du débit et du crédit mensuel du pays considéré. Ayant fait preuve de son efficacité, le mécanisme de change de l'UEP est progressivement assoupli via l'introduction d'une procédure d'arbitrage bancaire, d'une plus grande flexibilité du régime des paiements intra-européens et de leur décentralisation au profit des marchés.

17 Les accords bilatéraux ne permettaient pas des compensations trilatérales des dettes et des créances. En cas d’une créance du pays A sur le pays B et d’une créance du pays B sur le pays C, il n’y avait pas de possibilité de transmission de la créance de A sur C. D’où une restriction des échanges entre A et B. Par la multilatéralisation du clearing monétaire, l’OECE d’abord et l’UEP ensuite résolvent ce problème.

18 ANSIAUX (Baron), Hubert; DESSART, Michel. Dossier pour l'histoire de l'Europe monétaire 1958-1973. Bruxelles: Louvain (éd.), 1975, p. 11.

19 Voir BUSSIERE, Eric; DUMOULIN, Michel; SCHIRMANN, Sylvain. Le développement de l’intégration économique. In BOSSUAT, Gérard; BUSSIERE, Eric; FRANK, Robert; LOTH, Wilfried. L’expérience européenne, 50 ans de construction de l’Europe, 1957-2007. Bruxelles: Bruylant (Ed.), 2009.

20 Voir TRIFFIN, Robert. Europe and the Money Muddle: from Bilateralism to Near Convertibility. Yale: Yale University Press, New Haven Publisher, 1957.

21 L’Accord monétaire européen (AME) est conclu le 5 août 1955 par les dix-sept États membres de l'UEP. Cet accord met en place un Fonds européen de réserve pour les pays dont la balance des paiements serait déficitaire ainsi qu'un système multilatéral de règlements et de compensation sur la base de cours de change aussi stables que possible. La BRI assure l'exécution des opérations financières résultant de l'Accord. En revanche, contrairement à l'UEP, le système multilatéral de règlements et l'octroi de prêts de l'AME ne revêtent aucun caractère d'obligation ni d'automaticité. L'AME prévoit également la réduction des marges de fluctuation entre les dix-sept monnaies participantes. Un écart de 0,75% entre ces dernières est envisagé contre 1% par rapport au dollar, comme il était stipulé dans les Accords de Bretton Woods.

22 À ce propos, consulter les chiffres statistiques publiés par le Bureau of Economic Analysis of the US Department of Commerce. Source: www.bea.gov. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

23 Voir FRIEDMAN, Milton. The Euro-Dollar Market. Some First Principles. Chicago: Graduate School of Business, University of Chicago, Selected Papers, No.34, 1969. Il s'agit des eurodollars: dollars acquis par des banques en dehors du territoire américain et hors de portée des réglementations américaines et utilisés dans le cadre d’opérations de prêt à des clients non bancaires. La croissance des montants d’eurodollars en circulation donnera progressivement naissance à un véritable marché international des capitaux échappant aux régulateurs nationaux. L’origine des euromarchés remonte à la fin des années 1940 et le début des années 1950 sous la forme des dépôts en dollars, très spécifique, dont l’origine était la dégradation des relations entre les États-Unis et les pays sous régime communiste. Placer ses avoir en dollars en dehors du territoire américain permettait d’éviter leur gel par le gouvernement américain en cas de dégradation trop importante du climat international. Les concentrations d’eurodollars étaient à Paris (Banque Commerciale pour l’Europe), à Londres (Narodny Bank Moscva). À cette première source de dollars en circulation s’ajoutent les fonds du plan Marshall et le flux hors du sol américain résultant de la dégradation progressive du solde de la balance américaine de paiements. Sans oublier la prise en charge financière des forces militaires américaines installées en Europe occidentale.

24 Voir YOUNG, John Parke. United States Gold Policy: the case for change. Princeton essays, n°56, 1966. À noter qu’en mars 1968, les États-Unis réussissent à obtenir un accord suspendant les demandes de conversions de dollars en or.

25 Le 15 août 1971, le président Richard Nixon suspend la convertibilité en or du dollar américain, ce qui annonce la fin du système de Bretton Woods, dont l’effondrement se produit en 1973.

26 Dans son ouvrage Gold and the Dollar Crisis. The Future of Convertibility. Yale: Yale University Press, New Haven Publisher, 1960, Robert Triffin démontre que le système monétaire international basé sur le dollar américain est voué à l’échec. Conformément au «paradoxe de Triffin» ou «dilemme de Triffin» une monnaie nationale ne peut servir durablement de monnaie internationale. En effet, soit la balance globale du pays de la monnaie internationale est déficitaire, ce qui permet aux autres pays de disposer d’instruments de paiement, mais ce qui sape à terme la confiance en cette monnaie, soit sa balance globale est excédentaire, ce qui provoque un manque de liquidités internationale et ralenti donc la croissance des échanges internationaux.

27 Voir DU BOIS, Pierre. Histoire de l’Europe monétaire 1945-2005. Euro comme Ulysse... Genève: Institut de Hautes Études Internationales et du Développement, PUF (éd.), 2008.

28 Voir WILSON, Jerôme. Le groupe de Bellagio: origines et premiers pas (1960-1964). In DUMOULIN, Michel, Réseaux économiques et construction européenne. Bruxelles: PIE Peter Lang, 2004, pp. 391-410.

29 Voir AUBOURG, Valérie. Le groupe de Bilderberg et l’intégration européenne jusqu’au milieu des années 1960. In DUMOULIN, Michel (éd.) Réseaux économiques et construction européenne. Bruxelles: PIE Peter Lang, 2004, pp. 411-429.

30 Voir SCHULTZ, Mathias, The Merton Plan for a European Central Bank System: German commercial elites and the beginning of the European Integration. In BUSSIERE, Eric: DUMOULIN, Michel (dir.). Milieux économiques et intégration européenne en Europe occidentale au XXe siècle. Arras: Artois Presses Université. 1998, pp. 85-104.

31 «L’objectif serait la création d’un marché financier européen, avec une banque et un fonds de réserve européen, l’utilisation en commun des réserves nationales, la convertibilité des monnaies européennes, le libre mouvement des capitaux entre les pays de la Communauté, enfin l’établissement d’une politique financière commune». In MONNET, Jean. Mémoires. Paris: Editions Fayard, 1976, p. 502.

32 FOURASTIE, Jean. Les Trente Glorieuses ou la révolution invisible de 1946 à 1975. Paris: Editions Fayard, 1979. Voir CASSIERS, Isabelle. Le contexte économique. De l’âge d’or à la longue crise. In BUSSIERE, Eric; DUMOULIN, Michel (dir.). Milieux économiques et intégration européenne. pp. 13-34. CARRERASS, Albert. The Twentieth Century. In DI VITTORIO, Antonio (éd). An Economic History of Europe. From Expansion to development. Londres: Routledge, 2006, pp. 239-353. EICHENGREEN, Barry. Institutions and Economic Growth: Europe after World War II. In CRAFTS, Nicholas; TONIOLO, Gianni (éd.). Economic Growth in Europe since 1945. Cambridge: Cambridge University Press, 1996, pp. 38-72.

33 Cependant, l’essor n’est pas uniforme. Au sein d’un même pays des décalages se creusent entre les régions en développement et celles arriérées ou en régression. C’est un élément essentiel dans la problématique du marché commun.

34 Le 9 mai 1950, sous l'impulsion de Jean Monnet, premier commissaire au Plan, Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères français, propose la création d’une organisation européenne chargée de mettre en commun les productions françaises et allemandes de charbon et d’acier. La «déclaration Schuman» prononcée dans le salon de l’Horloge du Quai d’Orsay à Paris est considérée comme le texte fondateur de la construction européenne. Ce texte débouchera sur la signature, le 18 avril 1951 du traité de Paris, qui fonde la Communauté européenne du charbon et de l'acier entre six États européens.

35 Le 25 mars 1957 sont signés à Rome: le traité instituant la Communauté économique européenne (CEE) et le traité instituant la Communauté européenne de l'énergie atomique ou traité Euratom(EURATOM). Après ratification par les six États signataires (Allemagne de l'Ouest, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas) les deux traités signés à Rome sont entrés en vigueur le 1er janvier 1958. Ces deux traités signent l'acte de naissance symbolique de l'Union européenne.

36 Les rédacteurs du traité de Rome se soucient peu des questions monétaires. Le système mis en place à Bretton Woods, avec pour mission de régler, sur le plan international, les relations financières entre États, fonctionne de manière satisfaisante. L'expérience de l'UEP avait contribué à instaurer, sinon une véritable coopération, du moins des relations ordonnées entre les nations européennes.

37 Les dispositions monétaires prévues dans les traités visent la coordination des politiques monétaires (art. 105), la libre circulation des capitaux (art. 106), la stabilité des taux de change (art. 107), et l’équilibre de la balance des paiements (art.108 et 109). Le traité de Rome prévoit la création d’un Comité monétaire consultatif afin de favoriser la coordination des politiques nationales et d’accorder une aide mutuelle in cas de difficultés de la balance des paiements. Le traité prend position en faveur des taux de change fixes, choix conforme aux dispositions des Accords de Bretton Woods.

38 Voir ANSIAUX (Baron), Hubert; DESSART, Michel. Dossier pour l'histoire de l'Europe monétaire 1958-1973. Bruxelles: Louvain, 1975, p. 44.

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