La Cour européenne des droits de l'homme

La Cour européenne des droits de l’homme


Considérant que la future Union ou Fédération européenne devra demeurer ouverte à toutes les nations d’Europe vivant sous un régime démocratique, la résolution politique du congrès de La Haye charge une commission d’entreprendre rapidement la rédaction d’une Charte des droits de l’homme et de proposer une définition des critères démocratiques. Sont déjà cités la liberté de pensée, de réunion et d’expression ainsi que le libre exercice d’une opposition politique. Mais ce n’est pas tout. Les congressistes demandent aussi à la future Assemblée européenne de favoriser la création d’une Cour de justice afin d’assurer un contrôle constitutionnel et de faire respecter la Charte. Il s’agit en effet d’aller au-delà d’une simple déclaration des droits sans effet juridiquement contraignant. Sur la base d’un ambitieux rapport préparatoire et d’un projet de convention d’Alexandre Marc, directeur du département institutionnel de l’Union européenne des fédéralistes (UEF), la commission culturelle du congrès de La Haye se penche également sur les enjeux de la création d’une Cour suprême supranationale et d’une Charte. Plusieurs délégués pointent la nécessité de lutter contre la confusion des pouvoirs exécutif et judiciaire et de favoriser la liberté de la presse et la libre circulation des œuvres de l’art et de la pensée. Lors des débats des uns et des autres, apparaît aussi la nécessité de distinguer la conception spécifiquement européenne des droits de l’homme et des rapports entre les citoyens et l’État afin de se démarquer de la Déclaration universelle des droits de l’homme que prépare au même moment la commission des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies (ONU). La Déclaration universelle sera d’ailleurs officiellement proclamée à Paris le 10 décembre 1948 alors même que la ville de La Haye abrite depuis 1945 la Cour internationale de justice.


Déjà esquissée en avril 1947 par le comte Richard Coudenhove-Kalergi dans ses contacts avec certains parlementaires européens, l’idée d’une Cour européenne des droits de l’homme est vite reprise par la plupart des mouvements pro-européens. Lesquels assignent à la future Assemblée délibérante ou consultative la responsabilité de la rédiger. Ce qui n’empêche pas certains de se mettre directement au travail. Ainsi le 21 mai 1948, les participants français au congrès de La Haye se réunissent à Paris sur l’initiative du Comité français de liaison des mouvements pour l’unité européenne. Le 10 juin, le Comité de liaison crée en son sein une commission spéciale de la Charte chargée de préparer la rédaction d’une Charte européenne des droits de l’homme. En septembre 1948, c’est l’Union parlementaire européenne (UPE), réunie en congrès à Interlaken, qui examine à son tour un projet de Déclaration internationale des droits de l’homme.


L’étude d’un projet de Cour européenne des droits de l’homme figure à l’ordre du jour du premier conseil international du Mouvement européen qui se réunit à Bruxelles du 25 au 28 février 1949. Animée par le fédéraliste et socialiste belge Fernand Dehousse, professeur à l’Université de Liège, la commission juridique élabore des recommandations pour tous les États membres du Conseil de l’Europe. Un projet est adopté. Il prévoit notamment que la Cour sera chargée de garantir les droits individuels, familiaux ou sociaux de caractère économique, politique, religieux ou autre énumérés dans la déclaration universelle des droits de l’homme qu’il est nécessaire et pratiquement possible de protéger par la voie juridictionnelle (sécurité de la personne, liberté d’association et de réunion, liberté de croyance religieuse, égalité devant la loi, protection du caractère sacré du foyer, liberté de pétition, …). Compétente pour juger de toute violation de ces droits, la Cour pourra prescrire des mesures de réparation ou enjoindre aux autorités nationales responsables de prendre des sanctions pénales ou administratives. Les gouvernements de tous les États signataires et toutes personnes physiques ou morales relevant de l’un de ces États pourront saisir la Cour après qu’aient été épuisées toutes les voies de recours internes. En plus des membres de la Cour, le projet Dehousse prévoit aussi la mise en place d’une Commission européenne des droits de l’homme indépendante des gouvernements et chargée d’examiner les requêtes et de surveiller l’application de la future convention.


La section juridique du Mouvement européen se charge aussi de la préparation d’une convention, conforme aux principes énoncés dans le projet Dehousse, à soumettre au Conseil de l’Europe. Dans son préambule, le statut du Conseil de l'Europe du 5 mai 1949 pose en effet que les États signataires sont « inébranlablement attachés aux valeurs morales et spirituelles qui sont le patrimoine commun de leurs peuples et qui sont à l'origine des principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit, sur lesquels se fonde toute démocratie véritable ». Le Conseil de l'Europe est saisi d'un projet de convention en juillet 1949. Deux mois plus tard, lors de sa première session, l’Assemblée consultative du Conseil de l'Europe adopte une résolution relative aux droits de l’homme vite reprise par le Comité des ministres et par les gouvernements. Sous la présidence du député conservateur britannique Sir David Maxwell Fyfe, co-rapporteur de la commission juridique du Mouvement européen et membre actif de la commission culturelle du congrès de l’Europe à La Haye, la commission des questions juridiques et administratives du Conseil de l’Europe adopte en effet comme base de ses travaux l’avant-projet de convention rédigé par l’ancien ministre français Pierre-Henri Teitgen qui préside la commission juridique du Mouvement européen. Ce document s’attache à la solution de trois problèmes:


- Énumérer et définir les droits et les libertés à garantir

- Indiquer comment seront fixées les conditions d’exercice de ces droits et libertés

- Préciser le mécanisme de la garantie collective de ces droits.


En ce qui concerne le premier point, l’Assemblée estime que seule peut être assurée la garantie des droits de la démocratie politique en attendant celle des droits sociaux. Aussi ratifie-t-elle le choix fait par la commission des dix droits et libertés repris à la Déclaration universelle des droits de l’homme telle qu’adoptée en décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations unies. Mais faute d’un accord sur la définition du droit de propriété et du droit des parents de choisir par priorité le genre d’éducation à donner à leurs enfants, l’Assemblée décide de renvoyer à la commission les paragraphes relatifs à ces deux droits en la chargeant d’en élaborer pour la prochaine session une formulation plus précise. Son projet prévoit en outre l’engagement pris par les gouvernements de procéder à intervalles raisonnables, à tout le moins pour certains sur le territoire métropolitain, à des élections au suffrage universel, libre et secret et d’autoriser la critique et l’opposition politiques. Ayant ensuite à fixer les conditions d’exercice de ces droits et libertés, l’Assemblée consacre le principe selon lequel chaque État membre aura compétence pour organiser dans ses frontières l’exercice des libertés garanties. Enfin, l’Assemblée consultative reconnaît unanimement la nécessité d’un contrôle juridictionnel et recommande la création d’une Cour européenne des droits de l’homme même si elle prévoit que les États pourront également soumettre leurs litiges à la Cour de La Haye. L’institution d’une Commission européenne des droits de l’homme, organe d’enquête et de conciliation, est recommandée. Dans le cadre des débats consacrés par l’Assemblée à la question des droits de l’homme, le sénateur catholique belge Étienne de la Vallée Poussin, membre de l’UPE, soulève le problème des personnes déplacées. Mais la question est reportée sine die.


Les travaux du Conseil de l’Europe ne restent pas longtemps sans suite. Le 4 novembre 1950, les ministres des Affaires étrangères de treize États membres signent en effet à Rome la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou Convention européenne des droits de l'homme. Elle sera signée le 28 novembre à Paris par le représentant de la Suède. Mais la Convention n'entrera en vigueur que le 3 septembre 1953. Fidèle aux principales propositions du Mouvement européen, la Convention renvoie à un double mécanisme de contrôle puisqu’il repose à la fois sur la Commission et sur la Cour européennes des droits de l’homme. C'est le 12 juillet 1954 que la Commission européenne des droits de l'homme tient sa première session.


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