Le rapprochement Giscard-Schmidt

Le rapprochement Giscard-Schmidt

La situation évolue à compter du 2e semestre 1976. Après le choc de la crise pétrolière de 1973, l'économie européenne montre des signes de reprise, ce qui autorise à nouveau l'optimisme pour progresser vers l'union économique et monétaire. Les Européens tirent les enseignements de la crise du système de change européen: toute stabilisation exige une plus grande convergence des politiques économiques et monétaires, conclut le Conseil européen des 12 et 13 juillet 1976. Ces conclusions marquent la prévalence de l'approche économiste sur celle monétariste.

Un consensus (imposé par les faits) se dégage au niveau européen, et entre les principaux États membres, sur les choix de politique économique. Lancé en 1975, le plan de relance français de la demande privée ne permet ni juguler le chômage ni de réduire l'inflation dont l'écart est croissant avec celle allemande. Rentré à nouveau dans le «serpent» monétaire le 10 juillet 1975, le franc ne peut s'y maintenir et doit le quitter le 15 mars 1976: sur la période, la défense du taux-pivot a coûté 13 milliards de francs à la Banque de France1. La sécheresse du premier semestre 1976, qui frappe surtout la France, contribue à accentuer la tendance inflationniste. En réaction, sous la conduite de l'ancien commissaire chargé de l'économie et des finances, Raymond Barre, le gouvernement français adopte un premier plan d'austérité le 22 septembre 1976, suivi d'un deuxième plan en 19772. La libéralisation des prix s'accentue et l'«ouverture sociale» est préconisée. Ces évolutions amorcent un rapprochement idéologique entre la France et l'Allemagne3. Ce rapprochement s'appuie sur un processus de «mini-convergence» des politiques conjoncturelles inauguré entre les deux pays à compter de l'été 19754. Cette convergence technique s'appuie autant qu'elle reflète la proximité intellectuelle et l'amitié réciproque du chancelier allemand, Helmut Schmidt, et du président français, Valéry Giscard d'Estaing. Elle exprime aussi du côté allemand une certaine «lassitude» vis-à-vis des États-Unis et de leur politique économique. La relance initiée par l'administration Carter à compter de 1977 dégrade les termes de l'échange avec ses principaux partenaires, contribuant à une dépréciation du dollar et à une appréciation inverse du mark. Appliquant une politique de change de douce négligence (ou benign neglect policy), les États-Unis laissent leurs partenaires assumer le coût des interventions sur les marchés des devises5. Quant au Royaume-Uni, il s'engage dans une politique similaire de lutte conte l'inflation, contraint en cela par le programme d'ajustement négocié avec le Fonds monétaire en 1976 contre le versement d'une aide de 4 milliards de dollars.

En complément, la période est aussi marquée par un renouvellement de la pensée économique. La crise économique, avec l'entretien d'un chômage élevé et d'une inflation persistante6 discrédite la pensée keynésienne au profit de celle monétariste représentée notamment par l'«école de Chicago» et Milton Friedman et du courant libéral de l'école du Public choice (ou «école de Virginie») de James Buchanan7. L'effet inflationniste des relances budgétaires est dénoncé et la stabilisation des prix par les instruments monétaires et budgétaires préconisée.

Enfin, la perspective de l'adhésion prochaine de nouveaux États membres (Grèce, Espagne et Portugal) exige de progresser sur le terrain de l'unification économique et monétaire pour que l'élargissement ne signe pas une dilution du processus d'intégration8.

1De Villepin, Roland, Oudiz, Gilles, et Cohen, Daniel, Enjeux du système monétaire européen, Statistiques et études financières, 1980, vol. 41, n°41, p. 3.

2Le VIIe Plan prévoyait sur la période 1976-1980 le maintien de la parité du franc à son niveau de fin 1974 et un retour à l'équilibre de la balance des paiements en 1980.

3Mourlon-Druol, Emmanuel, A Europe Made of Money: the Emergence of the European Monetary System, Ithaca, Cornell University Press, 2012, p. 100; Weinachter, Michèle, Valéry Giscard d'Estaing et l'Allemagne: le double rêve inachevé, L'Harmattan, Paris, 2004, pp. 120-128.

4 26e consultations franco-allemandes, 25 et 26 juillet 1975.

5Basosi, Duccio, Principle or power? Jimmy Carter's ambivalent endrosement of the European Monetary System, 1977-1979, Journal of Transatlantic Studies, 2010, vol. 8, n°1, pp. 6-18 ; Gilibert, Pier Luigi et Monti, Mario, Les monnaies «faibles» et les «faiblesses» du système monétaire européen, Politique étrangère, 1980, n°1, p. 58.

6Cet arbitrage est illustré par la «courbe de Phillips» où le taux de chômage et le taux d'inflation sont dans une relation décroissante.

7Voir par exemple sur cette évolution: Montoussé, Marc, Analyse économique et historique des sociétés contemporaines, 2e éd., Bréal, Paris, 2007, pp. 293 et s.

8Commission, A Progress Report on convergence and EMU, Internal document, ref. II-G, Brussels, 8 September 1977, point 82; Commission, communication sur les perspectives de l'Union économique et monétaire, Bruxelles, 17 novembre 1977, COM(77) 620 final, p. 12; Commission, avis sur la demande d'adhésion de la Grèce, Bruxelles, 28 janvier 1976, Bull. CE Suppl. 2-1976.

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